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shillings par livre, ou d’autres fantaisies du même genre.

Imaginez, au contraire, que la Chambre haute accepte le bill sans plus de résistance, et qu’en Irlande, le nouvel ordre de choses soit prochainement établi. Si l’Ulster est aussi résolu, aussi irréductible dans sa résistance que les discours passionnés de sir Edward Carson le donnent à penser, le gouvernement britannique, qui a gardé en main la force armée et la police, se trouvera dans une des situations les plus difficiles, les plus cruelles, où se soit jamais trouvé un gouvernement moderne chez un peuple civilisé. Grandira-t-il dans cette crise ? Se montrera-t-il seulement à la hauteur de ses devoirs ? Il est permis de se le demander. En tout cas, il sera affaibli sur son propre terrain : car, les 103 députés que l’Irlande envoie aujourd’hui à Westminster ne seront plus que 42, parmi lesquels 8 ou 10 grossiront l’opposition unioniste. La majorité radicale, réduite de plus de cinquante voix, sera une majorité variable et précaire, insuffisante pour faire vivre un gouvernement qui s’est brouillé avec les classes riches par ses budgets à tendances socialistes, et qui a irrité les classes laborieuses par la loi de l’assurance nationale ; le premier orage qui passera sur le monde politique l’emportera et ramènera au pouvoir ses adversaires, c’est-à-dire les amis de la Chambre des Lords et les ennemis du Home Rule.

En voilà assez pour faire comprendre que la Chambre haute, si elle consulte son intérêt et celui du parti conservateur, s’arrêtera à cette dernière solution. Que lui conseille l’intérêt général du pays ? Ici, la réponse est moins facile à faire. Il ne peut plus être question d’évoquer le spectre du péril national qui, en 1886, affolait les esprits et qui n’effraye plus personne en 1912 ; il n’est plus possible de soutenir que la séparation administrative de l’Irlande sera un démembrement de la Grande-Bretagne. Mais la Chambre des Lords hésitera peut-être à rendre immédiatement exécutoire une constitution pleine de contradictions et d’obscurités, à peine intelligible à ceux qui l’ont faite, manifestement déplaisante à ceux pour qui elle a été faite, et d’où peut sortir une guerre civile.


AUGUSTIN FILON.