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servir à la littérature. Il avait trouvé pour le monde cet argument de rédemption. Il s’établit prêtre de ce néant qu’il ornait de beauté.

Avec quel soin, méticuleux et obstiné ! Il ne négligeait aucun détail de son culte, aucune pratique. Il n’a omis aucune des vertus de l’écrivain. Presque toujours seul, à son bureau, il travaillait, recommençait et raturait : hors des ratures sortait la phrase, belle comme une musique peinte. Alors, dit Maupassant, il levait la tête, haussait à ses yeux la feuille de papier, s’appuyait sur un coude et lisait, d’une voix forte et heureuse.

Je l’aime aussi tel que, d’après Mme Franklin Grout, M. Louis Bertrand nous le montre. De temps en temps, on le voyait, gros homme, ceindre un tablier, s’asseoir : il passait toute une matinée à fendre, aiguiser et polir des plumes d’oies ; il les jetait l’une après l’autre dans un grand plateau de cuivre. Et il était, durant cette longue opération, parfaitement grave et recueilli. Besogne religieuse : il préparait les instrumens de la littérature.

Je l’aime enfin parce qu’il se disait disciple de saint Polycarpe, lequel s’écriait : « Seigneur, Seigneur, en quel temps m’avez-vous fait vivre !... »

Mais il se consolait à réunir les mots sonores et colorés, à divertir ainsi son désespoir, à illustrer d’images son incertitude, à réparer avec des phrases les torts de l’univers.


ANDRE BEAUNIER.