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L’ART ET LE METIER
DANS
LA « CHANSON DE ROLAND »

Telle que nous pouvons la lire, écrite noir sur blanc dans le manuscrit d’Oxford, la Chanson de Roland se présente comme un poème régulier, suivi, de 4 002 vers décasyllabes, signé de ce nom, d’ailleurs mystérieux, Turoldus. Elle date des premières années du XIIe siècle, et nous ne possédons pas un seul témoignage qui nous dise que ce Turold ait eu des devanciers, qu’il ait existé des Chansons de Roland plus anciennes. Néanmoins, tout l’effort de la critique, depuis soixante ans et plus, tend à reconstituer par conjecture des versions archaïques de son poème. « Que la Chanson de Roland puisse être l’œuvre d’un seul auteur, c’est ce que personne ne voudra croire, » écrivait Wilhelm Grimm dès 1838 ; Gaston Paris écrivait en 1900 : « L’auteur de la Chanson de Roland s’appelle Légion, » et cette pensée circule comme un leitmotiv dans presque tous les travaux consacres à Roland. A en croire les érudits, la mort de Roland à Roncevaux, en l’an 778, dut émouvoir vivement ses contemporains, qui, pour exprimer leur émotion, auront aussitôt composé, dans le camp même de Charlemagne, des récits épiques ou des chants lyrico-épiques, des « cantilènes, » comme on les appelle, lesquels chants ou récits, transmis et amplifiés d’âge en âge, auront « abouti » enfin, après trois siècles, au poème de Turold. Ce poème ne serait donc qu’un « chapelet, » un « bouquet de cantilènes, » ou un remaniement d’un poème déjà vingt fois remanié.

C’est de la même façon que l’on a expliqué, comme on sait,