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sous l’influence de Wolf, de Herder, des frères Grimm et des romantiques de Heidelberg, la formation de l’Iliade, des Nibelungen, du Ramayana, du Schah-nameh, et de maintes autres épopées, dites « primitives » et « populaires. » C’est de la même façon que, depuis les temps d’Uhland et de Fauriel, on explique, outre le Roland, toutes nos chansons de geste. Bien qu’elles datent toutes, sous les formes où nous les avons, du XIIe et du XIIIe siècle, du XIe siècle au plus tôt, on prétend y reconnaître le dernier aboutissement, l’écho affaibli d’un travail poétique commencé des siècles plus tôt. Nos romans de chevalerie de l’époque capétienne représenteraient des « survivances » d’une plus ancienne épopée carolingienne, héritière elle-même d’une plus ancienne épopée mérovingienne. Selon une formule célèbre, que l’on rencontre pour la première fois, en 1834, dans une leçon d’Uhland, « l’épopée française, c’est l’esprit germanique dans une forme romane, » — en sorte que, pour rendre compte de la Chanson de Roland, il faudrait remonter jusqu’à Charlemagne, et bien plus haut encore, jusqu’à Chilpéric et à Clovis, et bien plus haut encore, jusqu’aux Germains delà Germanie de Tacite.

Longtemps on se dispensa d’invoquer, à l’appui de ces dires, des argumens de fait. Quand les plus anciens théoriciens, un Fauriel, un Amaury Duval, et, bien après eux encore, un Léon Gautier, allaient disant que la Chanson de Roland n’est qu’un « chapelet, un bouquet de cantilènes, » ils se contentaient d’assertions très simples, d’une singulière simplicité : « Avant notre Chanson de Roland, écrit L. Gautier, il existait probablement toute une série de chants populaires qui se rapportaient à chacune des parties de notre poème : le Conseil du roi Marsile (vers 10-96), le Message de Blancandrin (vers 97-167), le Conseil de Charlemagne (vers 168-365), la Trahison de Ganelon (vers 366-668), Roland à l’arrière-garde (vers (vers 669-825, les Pairs de Marsile (vers 826-1016), etc. » La méthode était simple, comme on voit : pour dégager de la Chanson de Roland une antique « cantilène, » il suffisait de séparer d’un coup de crayon le vers 97 du vers 96, et, pour en dégager une seconde, de séparer d’un autre coup de crayon le vers 168 du vers 167. On ne se mettait nullement en peine de découvrir, au passage d’un épisode à l’autre, des points de suture, entre les divers épisodes des différences de langue, de style, de manière ; on ne disait même pas qu’il y en eût. Tant il est vrai que l’idée d’attribuer la Chanson