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est admirable, bien qu’il traite ce sujet et non parce qu’il le traite. Il n’est pas un drame de la fatalité, mais de la volonté. En ce poème, Roland et ses compagnons, loin de subir leur destinée, en sont les artisans au contraire, et les maîtres, autant que des personnages cornéliens. Ce sont leurs caractères qui engendrent les faits et les déterminent, et mieux encore, c’est le caractère du seul Roland. Si je réussis à le montrer, à faire voir que toutes les combinaisons du poème, si diverses, si complexes, tendent d’un même effort à une seule fin, soutenir le caractère une fois posé de Roland, plus j’aurai mis en relief l’adresse, l’unité de direction, la cohérence de ces combinaisons, plus je serai en droit, semble-t-il, de les dire individuelles, d’en faire honneur à un seul poète, non pas à une légion de poètes.


Les premières scènes distribuées entre deux décors aux couleurs contrastées : ici Saragosse, la seule ville d’Espagne que les Français n’aient pas encore conquise, et le verger où le roi Marsile, couché sur un perron de marbre, dit à ses ducs et à ses comtes son découragement, et combine, pour éloigner Charlemagne, ses offres de feinte soumission ; — là, devant les murailles démantelées de Cordoue, le camp français, joyeux et fort ; sous de grands arbres, les tentes dressées où le butin s’amoncelle, argent, joyaux, riches armures ; les catapultes au repos depuis la veille ; les jeux des chevaliers, des bacheliers ; les vieux, sur des tapis blancs, assis aux échecs ; les jeunes, qui s’escriment de l’épée ; passant au milieu d’eux, sur leurs mules blanches, aux freins d’or, aux selles d’argent, les rusés messagers de Marsile, des branches d’olivier à la main ; près d’un églantier, environné des Francs de France, sur son siège d’or, celui qu’ « on reconnaît sans l’avoir jamais vu » (vers 119), le grand vieillard majestueux et familier... ces images jouent à nos yeux et chatoient, et le poète semble s’oublier à tout ce pittoresque, et voilà pourtant qu’il a réussi à insinuer en ces premières scènes les multiples données de fait dont il avait besoin ; voilà qu’au bout de deux cent cinquante vers, cette chose difficile est achevée, l’exposition : déjà nous savons quelle peines et quels ahans les Francs ont endures, qu’ils ont combattu sept ans pour la seule gloire de Dieu et qu’ils sont prêts à combattre encore, mais que, las de leurs victoires, aspirant au retour, ils veulent croire sincères les messagers qui viennent offrir la soumission