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ENTRE LES DEUX MONDES[1]



TROISIÈME PARTIE[2]



VIII

Comment, quand et pourquoi l’histoire s’était trompée, l’ingénieur me l’apprit le matin suivant, vers neuf heures. Je m’étais réveillé tard, et, après être allé redire à ma femme notre conversation du soir précédent et le désespoir de Mme Feldmann, j’étais sorti sur le pont, j’avais échangé quelques questions avec plusieurs passagers, au sujet de l’Équateur que nous devions franchir ce jour-là, et j’y avais enfin trouvé Rosetti :

— Où t’es-tu esquivé, hier soir ? me demanda-t-il.

Je connaissais sa discrétion et je le lui dis sans réticences.

— Tant pis pour toi ! s’écria-t-il quand j’eus fini. Tu as manqué d’entendre l’éloge de Colomb.

Car c’était jusqu’à la découverte de l’Amérique que l’histoire avait fait fausse route, et celui qui l’avait remise dans le bon chemin, c’est Christophe Colomb en personne. Rosetti me raconta que, après mon départ, Alverighi avait majestueusement plané pendant un quart d’heure au-dessus des siècles, affirmant que, jusqu’à la Révolution française, l’histoire avait mis la charrue avant les bœufs, puisque l’homme s’était obstiné à rendre le monde beau et bon avant même de le connaître et de le posséder tout entier ; en d’autres termes, on avait voulu décorer la maison avant de l’avoir bâtie. Depuis la Grèce, qui enseigna au monde à se servir du ciseau, du pinceau et de la plume,

  1. Copyright by G. Ferrero, 1913.
  2. Voyez la Revue du 15 décembre 1912 et du 1er janvier 1913.