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l’ordre sacré des infortunés (par Dufourny de Villiers). Il demande, à la date du 25 avril 1789, que « cette classe immense de journaliers, de salariés, de non gagés... cette classe qui a tant de représentations à faire » soit érigée en un quatrième ordre... Elle en constitue bien un de fait, mais il est « rejeté du reste de la nation ; » il est « le seul qui ne soit pas appelé à l’Assemblée nationale et envers lequel le mépris est égal à l’injustice. » Le Tiers-Etat ne peut pas représenter ce quatrième ordre, parce que des privilégiés ne peuvent pas représenter des non-privilégiés. Au surplus, le troisième ordre et le quatrième sont l’un vis-à-vis de l’autre en un antagonisme constant. « Je demanderai aux députés des villes commerçantes si les fabricans, forcés de prendre leur bénéfice entre le prix de la matière première et le taux de la vente aux consommateurs, ne sont pas continuellement occupés à restreindre le salaire de l’ouvrier, à calculer sa force, ses jouissances, sa misère et sa vie, et si l’intérêt qu’ils ont à conserver cet état de choses n’est pas directement opposé aux réclamations du quatrième ordre, dont leur générosité les porterait d’ailleurs à se charger. » Pour lui, le rédacteur du cahier, l’auteur (car on pense bien que ce ne sont pas non plus « les infortunés » qui ont eux-mêmes écrit de ce style), il signifie à « ces méprisans égoïstes » qu’il se fera gloire d’être le défenseur de cette prétendue canaille. Il voudrait voir, reprend-il, auprès de l’Assemblée, une sorte de tribun de la plèbe, dépositaire des vœux du quatrième ordre, et nanti d’une voix consultative aux débats.

Nous le croyons sans peine, qu’il voudrait le voir, et s’y voir ! Mais les 150 000 ouvriers parisiens ne l’entendent pas ainsi. Contre les entreprises des « méprisans égoïstes, » et du Tiers-Etat non moins que des deux premiers ordres, ils ne veulent, eux, de « tribun de la plèbe » que tiré de la plèbe. Aussi récusent-ils la liste des électeurs, qui n’offre pour eux aucune garantie. « Sera-ce le savant, l’homme de lettres, qui pourra être l’appréciateur ou l’interprète de nos besoins, dans ce tribunal auguste où toutes les réclamations devront être discutées et accueillies ? » Quelle compétence auraient-ils et ne vaudrait-il pas mieux choisir, parmi les pétitionnaires, les artisans honnêtes que leurs lumières sur les questions professionnelles mettraient à même d’être les utiles représentans du peuple ? La nation se doit de donner cette représentation aux ouvriers : il