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ne faut pas qu’on puisse dire qu’une classe utile, mais pauvre, a été écartée.

En fait, il était presque impossible que cette classe fût représentée dans les États, ou dans l’État, puisqu’elle ne l’était pas même dans la corporation. Jusque dans la communauté de métier, à la fin du XVIIIe siècle, les ouvriers n’avaient plus aucune part à l’administration et n’élisaient plus aucun officier : d’où vient qu’en général ils s’indignèrent moins qu’on ne les fit s’indigner de ne point contribuer comme électeurs au choix des représentans de la nation. Il n’en reste pas moins curieux que les cahiers, bien que rédigés par d’autres que des ouvriers, s’occupent aussi peu de leurs besoins ou de leurs droits, et que ceux qui, par occasion, ne s’en taisent pas entièrement, ne parlent jamais que des salaires et, accessoirement, du chômage. Ils en parlent (pour négliger les manifestations semblables aux « trois monitions » du cahier de Sainte-Mesme en Touraine et les prétentions retardataires de bourgeois apeurés qui voudraient voir revivre la législation draconienne du travail), ainsi qu’en eussent parlé les encyclopédistes, en demandant, avec le cahier de Gournay-sur-Marne : « que le salaire du malheureux journalier soit réglé équitablement sur les besoins communs de l’humanité, au lieu de l’abandonner totalement aux estimations dédaigneuses et arbitraires des riches que la grande concurrence favorise toujours ; » ou bien, avec le Cahier des pauvres, de Lambert (qui est un exercice littéraire) : « que les travaux productifs et utiles obtiennent une prédilection marquée sur tous les arts de luxe ; que le salaire de ces travaux ne soit plus aussi froidement calculé d’après les maximes meurtrières d’un luxe effréné et d’une cupidité insatiable ; que la conservation de l’homme laborieux et utile ne soit pas pour la constitution un objet moins sacré que la propriété du riche. » « Bien d’autres aspects de la vie économique et de la condition juridique des ouvriers eussent cependant dû provoquer des remarques, susciter des vœux ou faire naître des réflexions, » note l’historien à qui j’emprunte la substance et souvent la forme même de ce résumé, M. Roger Picard. Mais il ajoute : « Néanmoins, l’ensemble prouve quelle importance l’activité industrielle et commerciale avait prise dans la vie publique en 1789 ; ce ne sont pas seulement les classes laborieuses elles-mêmes qui s’en rendent compte et veulent en faire pénétrer la notion dans tous les