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n’aurait qu’à être immobile ; » il n’est pas jusqu’à cet avertissement terrible dans lequel la bourgeoisie ne soit de moitié : « Oui, c’est bien la grève générale, mais non pas seulement des salariés, non pas seulement des prolétaires : c’est la grève générale des bourgeois comme des ouvriers ; c’est l’arrêt de la production bourgeoise, non par le refus de travail des ouvriers, mais par la décision révolutionnaire de la bourgeoisie. » Dans la ville de France où devait éclater, un demi-siècle après, la première insurrection véritablement ouvrière, à Lyon, les récriminations des ouvriers ne dépassaient pas la phraséologie de Linguet : « Quand on ne considérerait les ouvriers en soie que comme des instrumens mécaniques nécessaires à la fabrication des étoffes, ou qu’abstraction faite de leur qualité d’hommes qui doit intéresser à leur sort, on eût l’inhumanité de ne vouloir les traiter que comme des animaux domestiques, que l’on n’entretient et ne conserve que pour les bénéfices que leur travail procure, toujours faudrait-il leur accorder la subsistance qu’on est forcé de fournir à ceux-ci, si on ne voulait pas s’exposer à se voir bientôt frustré du fruit de leur travail ; » et c’est donc encore par un appel à l’intérêt des maîtres que les ouvriers défendent leur propre intérêt. Mais la pensée de Linguet lui-même est très mêlée ; les juristes non moins que les économistes pèsent sur elle : elle est pleine de traces de physiocratie ; « il rêvait un impossible retour à l’état purement agricole, et l’anéantissement de l’industrie... Rêveries réactionnaires ! » Il lui arrive, en tout cas, d’écrire, comme l’eussent fait Domat ou Loyseau : « Les ouvriers des manufactures sont vils. » Nous lisons bien, à la date précise de 1789, dans un libelle du chevalier de Moret ; « On a tort de considérer le Tiers-Etat comme une seule classe : il se compose de deux classes dont les intérêts sont différens et même opposés. » Mais, outre que M. Jaurès se refuse à garantir la pureté des intentions du chevalier, et que, selon lui, si « cette décomposition en deux classes hostiles pouvait être une hardiesse ultra-révolutionnaire, elle pouvait être aussi une manœuvre de contre-révolution, » c’était certainement, dans l’amas de brochures du temps, une singulière exception. M. André Lichtenberger, pour préparer son livre : Le socialisme et la Révolution française, en a dépouillé plus de quatre mille. Le champ paraît vaste : c’est à peine s’il a trouvé à y glaner. L’étude de cette littérature spéciale ne lui a presque rien fourni. Ni les