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11 heures chez les peintres en bâtiment ; 11 heures et demie chez les sculpteurs, marbriers, doreurs, etc., 12 heures dans les filatures et dans les forges (forges de la Nièvre) : 12 heures et demie chez d’autres ; 12 et 13 heures, moins les repas, chez d’autres ; jusqu’à 16 heures, moins les repas, chez les relieurs, qui seraient heureux de ne plus fournir que 14 heures ; à Lyon aussi, dans certains cas, 16 heures. Un grand établissement, pourtant, ne travaille que de 9 à 10 heures par jour, et encore deux heures y sont-elles réservées au dîner, mais c’est « l’imprimerie de la République. » Le salaire est peu élevé, surtout pour les femmes et les enfans. Les ouvriers maréchaux, de 4 heures du matin à 7 heures du soir, temps des repas déduit, gagnent trente sous. Pour la mise en carte des épingles, jeunes filles ou enfans, s’ils sont habiles, peuvent, à raison de 30 000 dans la journée, gagner quatre ou cinq sous. Chez Sykes, de Saint-Remy, une jeune fille, entrée à neuf ou dix ans et, depuis cet âge-là, ayant travaillé 12 heures par jour, reçoit, à vingt et un ans, pour lui « tenir lieu de salaire, » un pécule de 250 francs ; entrée à quatorze ou quinze ans, elle reçoit, à sa majorité, 150 francs. Ces petites ouvrières sont parfois nourries, plutôt mal. Delaître, qui emploie 62 orphelines, leur fait servir des potages à la Rumford (le comte de Rumford, Benjamin Thomson, « Yankee baronnisé, » dira Marx) ; lequel Yankee, dans ses Essays political, economical, etc. « donne des recettes de toute espèce pour remplacer par des succédanés les alimens ordinaires et trop chers du travailleur. » Ses potages ne sont pas trop chers, puisque pour 11 fr. 16 on a de quoi nourrir, deux fois par jour, 115 personnes : la seule question est de savoir si elles sont vraiment nourries.

De la part de l’ouvrier, la résignation à son sort est encore générale, mais non totale et absolue. On lutte pour abréger la journée de travail, diminuer le nombre des jours chômés. Les corps de métier se recherchent et s’attirent : ouvriers des forges et fonderies, charpentiers, maçons, porcelainiers prennent contact. Les maîtres, les patrons, les bourgeois se plaignent de la « tyrannie des ouvriers, » de leur « vexatoire influence, » de la « dure dépendance des fabricans à leur égard, due notamment à l’esprit de licence qui a prévalu depuis quatorze ans dans la société. » « Le peuple fait la loi pour son travail, » gémit Dufort de Cheverny. Cependant ce ne sont pas les ouvriers qui