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sommes les seuls qui n’avons pas tremblé. C’était le drapeau noir des prolétaires lyonnais. Vous savez ce qu’ils y avaient inscrit : Vivre en travaillant ou mourir en combattant ! Terrible et sublime inscription !... Ils demandaient bien peu, les prolétaires lyonnais ! Ils demandaient bien peu !... Je me trompe peut-être. Quels sont les hommes qui vont lutter contre eux ?... Ceux-ci n’ont pas de drapeau nouveau ; mais s’ils en élevaient un, eux aussi ils y inscriraient : Vivre en travaillant ! et ils devraient y ajouter : ou mourir déshonorés ! Car, eux aussi, ils ont bien le droit de vivre, les fabricans et les commerçans... De quel côté se trouve donc le bon droit ?... La fabrication des soies dans Lyon était réglée par un tarif entre les fabricans et les ouvriers. Or le tarif ancien permettait aux fabricans lyonnais de travailler et de conjurer la faillite ; le nouveau tarif ne le leur permettait pas, ils ont demandé le maintien de l’ancien tarif. Les fabricans aussi, vous le voyez, demandaient bien peu !... Entre ces hommes dont les prétentions contraires étaient si légitimes, il n’a pas pu se trouver un arbitre : il y avait du sang dans cette question et le sang a coulé. » C’est à ce rôle d’arbitres qu’aspirent les saint-simoniens ; et c’est pourquoi l’enseignement qu’ils fondent peut être indifféremment appelé, comme ils l’appellent même alors, même après 1830, même à la fin de 1831 : du degré des ouvriers ou du degré des industriels ; dans leur esprit et dans leur langue, les termes ne se contredisent pas. « Quant à nous qui jetons ici, disent-ils, les premiers fondemens de l’association religieuse des travailleurs, maintenant que le drapeau lyonnais est tombé, maintenant que cette collision déplorable a cessé, c’est à nous, à nous qui nous sentons vivre et souffrir dans les entrailles de ce prolétaire qui retourne sombre à son métier ; à nous qui nous sentons vivre aussi dans les entrailles de ce fabricant dont le crédit et l’honneur ont été si cruellement menacés ; c’est à nous de planter entre eux notre drapeau. Nous n’y inscrirons pas : mourir en combattant ! Pourquoi combattre et mourir ? L’humanité n’est pas destinée à se déchirer éternellement les flancs. Nous n’y inscrirons pas non plus : vivre en travaillant ! Il y a encore là-dedans des privilèges de naissance, encore de la distribution des instrumens de travail par le hasard. Nous y inscrirons : vivre associés et mourir pacifiquement avec la foi que nous accomplissons un progrès pour l’humanité. » Le Père suprême, Enfantin lui-même, à son tour,