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inspiration philosophique du côté de l’Allemagne. L’influence profonde de Hartmann sur cette génération ne saurait être assez signalée. C’est elle qui règne en souveraine sur Jules Laforgue, qui fut tenu pour un Dieu, en ce temps-là, sur Maeterlinck, sensiblement encore sur M. Jammes et M. Vielé-Griffîn. Laforgue écrivait : par la raison, par la logique nous nous vidons de tout ce qui est la vie ; « nous allons à la dessiccation. » L’inconscient, au contraire, est « un domaine qui vient d’ouvrir à la science les forêts vierges de la vie. » Et se pencher sur l’inconscient et tâcher de l’amener à une demi-conscience, c’est toute notre affaire. Et il ajoutait, avec une certaine naïveté, que la preuve que nous sommes faits pour nous ramener à l’inconscient, c’est que, « plus l’activité de l’esprit confine au domaine de l’inconscient, moins la fatigue se fait sentir. » M. Maeterlinck, avec beaucoup plus de finesse et perspicacité psychologique, ne pensait pas autrement et sa doctrine pouvait se résumer ainsi : Tout ce qui est exprimé est déjà dégradé ; même tout ce qui est senti avec netteté est déjà altéré et comme rendu grossier. La vie est mystérieuse et le mystérieux est seul vivant.

La pensée pratique des jeunes gens de 1885 était donc une pensée philosophique ultra-idéaliste, ayant tendance, du moins, à aller au delà de la raison, comme dirait Nietzsche, chercher la pensée spontanée et instinctive, au delà de la pensée spontanée le sentiment, au delà du sentiment conscient, le sentiment qui ne se rend pas compte de lui-même et qui est simplement un état d’esprit. La pensée pratique des jeunes gens de 1885 était une pensée philosophique, faisant la gageure de connaître l’inconnaissable du cœur dans la mesure où il peut être connu, c’est-à-dire senti.

Il résultait de là une particularité curieuse, qui, du reste, est plus qu’une particularité. Les hommes qui sont comme enivrés d’inconscient, peuvent à la vérité se détourner des choses ; ils peuvent aussi ne s’en détourner point ; seulement, s’ils les regardent, de même qu’en se contemplant eux-mêmes ils écartent tout ce qui n’est pas mystérieux, de même en regardant les choses ils les trouvent mystérieuses. L’âme vraie de ceux qui ont une âme étant quelque chose qui ne se comprend pas et qui n’est pas à comprendre, les choses peuvent avoir une âme exactement semblable, qui, comme la nôtre, parle silencieusement et se fait sentir obscurément, et l’on pourrait