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dire par son obscurité même. Lamartine avait dit seulement :


Objets inanimés, avez-vous donc une âme
Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?


Il était sur la voie. Chez les poètes de 1885, l’âme des choses est presque un dogme. L’âme des choses est une des inspirations familières de Maeterlinck. La façon dont il les imagine et dont il les craint est bien spirituelle : « C’est à certains momens et lorsqu’on les regarde que les choses se tiennent tranquilles, comme des enfans sages, et ne semblent pas étranges et bizarres ; mais, dès qu’on leur tourne le dos, elles vous font des grimaces et vous jouent de mauvais tours. » Francis Jammes est un des poètes les plus convaincus et les plus expressifs de l’âme des choses. Vous connaissez la fameuse pièce :


Il y a une armoire à peine luisante
Qui a entendu les voix de mes grand’tantes,
Qui a entendu la voix de mon grand-père,
Qui a entendu la voix de mon père.
A ces souvenirs l’armoire est fidèle,
On a tort de croire qu’elle ne sait que se taire ;
Car je cause avec elle.
Il y a aussi un coucou...
Il est venu chez moi bien des hommes et des femmes
Qui n’ont pas cru à ces petites âmes,
Et je souris qu’on me pense seul vivant
Quand un visiteur me dit en entrant :
Comment allez-vous, monsieur Jammes ?


Voilà, très sommairement esquissée, la philosophie, très rudimentaire du reste, et qui n’était réellement qu’une tendance mystique, des poètes de 1885. On conçoit et comment elle était née de l’éloignement à l’égard de la philosophie de Leconte de Liste et combien, une fois formée, elle contribuait à en éloigner encore plus, la philosophie de Leconte de Lisle étant très rationaliste, très logiquement construite, très nette et même très systématique. On conçoit encore plus qu’elle les écartait de ceux de leurs illustres prédécesseurs qui n’avaient pas été philosophes du tout, ni voulu l’être, et qui n’avaient été que plastiques.

Et ceci nous sert, si l’on veut, de transition. Les poètes de 1885 ne voulaient plus être plastiques, ni picturaux ; et ils tendaient vers la musique au lieu de tendre vers les arts du dessin ; avec pleine raison, selon moi, la poésie, parce qu’elle a pour