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moyen la voix humaine, s’apparentant beaucoup plus naturellement à la musique qu’à tout autre art, et, pour en mieux parler, la poésie étant une musique qui, — infériorité ou avantage, — reste analytique. Et ce serait le cas de citer le vers très intelligent d’Antony Deschamps sur la poésie :


Peinture qui se meut et musique qui pense.


C’est ce point de vue qu’avait très vite saisi Brunetière, et c’est ce qu’il y a de plus pertinent et de plus excellent dans son fameux article, Symbolistes et Décadens, admirable tout entier, du reste, de novembre 1888 : « La littérature, après s’être approprié les moyens de la peinture, tend maintenant à s’emparer des moyens de la musique. »

Ceci n’était que la conséquence presque forcée de ce goût de l’inconscient et du mystérieux qui était le fond des symbolistes. Comme c’est la musique qui fait sentir synthétiquement et non penser analytiquement, comme c’est la musique qui, simplement et sans plus, communique un état d’âme à une âme ; de même et par suite un art qui s’attachait au mystérieux et à l’indéterminé, et qui se souciait plus d’exprimer ou même d’évoquer des états d’âme que de les analyser, tendait, inclinait vers la musique à ce point qu’il était destiné à se confondre dans la musique, et en quelque sorte à se supprimer dans son aboutissement, à s’annihiler dans sa perfection. De ce que la poésie nouvelle était une musique plus que tout autre chose, c’est de quoi les « symbolistes » se sont le plus et le mieux rendu compte. Verlaine, qui a été le plus conscient de tous ces poètes et qui a le plus sûrement su ce qu’il était, ce qu’il voulait être et ce qu’il faisait, l’a assez dit dans ses vers fameux :


De la musique avant toutes choses ;
De la musique encore et toujours !


La musique est la forme même d’une pensée qui a quelque honte, tout au fond, d’être une pensée, mais qui, ne renonçant pas pourtant à en être une, cherche la courbe asymptotique qui la rapprochera le plus de la musique sans pourtant jamais l’y confondre. Un poète « symboliste » dirait à un musicien : « Monsieur, votre art est le véritable, et je voudrais être vous si, par une faiblesse peut-être blâmable et une ambition peut-être imprudente, je ne voulais être un homme qui se fait sentir