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amoureux de l’observance, — lisez des amans, — les chevauchées dans la forêt de Longue Attente. Charles écrit :


En la forest de Longue Attente,
Par vent de Fortune dolente,
Tant y vois abatu de bois
Que, sur ma foye, je n’y congnois
À présent ne voye, ne sente (sentier).


Philippe Pot compose ce rondeau :


En la forest de longue attente
Ou mainte personne est dolente,
Espoir me promist de donner
Se bien vouloye cheminer
Ce qui tous amoureux contente.
J’ay tout mis cueur, corps et entente
À traverser chemin et sente
Pour cuider ce grant bien trouver
En la forest…
Mais d’une chose je me vente
Que j’ay eu tous les jours de rente
Pour ma queste parachever
Peine et ennuy sans conquester
Riens sinon deuil qui me tourmente
En la forest…


Je ne crois pas que les vers de Charles d’Orléans reflètent sa vie. S’il a partagé les angoisses et les joies communes à tous les hommes, ses œuvres n’offrent pas un caractère de vérité intime. Les ballades du « Poème de la Prison, » pas plus que les rondeaux du « Livre de Pensée, » ne traduisent des sentimens éprouvés par le poète, « de son printemps à son hiver. » Ce sont des exercices de pensée ou de langage, très gracieux et subtils, précieux et artificiels, nés de la vieille rhétorique du moyen âge. Cette poésie n’apporte donc pas un élément nouveau dans notre littérature. Si l’on veut entendre des accens vraiment lyriques, précurseurs de la poésie moderne, il faut délaisser ces aimables divertissemens et relire l’œuvre de François Villon.

Aussi bien est-ce là le nouveau souci du jeune historien que nous félicitons pour son zèle à éclairer, par de beaux ouvrages d’érudition, cette sombre nuit du XVe siècle.


RAYMOND DE VOGÜE.