Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/755

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« J’adore son image, disait-il, et mon amour pour elle est un mélange de culte dont l’impression dépasse toute idée. Je la prie, je l’invoque. » Mais son imagination, « la terrible ennemie qui faisait son principal tourment, » lui persuadait qu’il n’avait pas joui du bonheur qu’il devait à Mme Necker autant qu’il était malheureux de sa mort, et qu’il n’avait pas assez répondu à son amour. En lisant les écrits passionnés qu’il trouvait dans les papiers de Mme Necker et qui étaient pour lui comme une révélation, il s’écriait :

Hélas ! pourquoi ne les ai-je pas lus dans le fond de ton cœur, ou pourquoi tes paroles rendaient-elles si brièvement tes sentimens ! mon aimée, tel est aujourd’hui mon malheur que tout ce que j’ai fait pour toi, tout ce que j’ai senti pour toi et dont tu as toujours parlé avec tant de contentement me paraît mille fois au-dessous de ce qui sortirait de mon âme en ce moment. Est-ce ma faute, est-ce l’effet inévitable de notre faible nature ? Chère aimée ! chère aimée ! je suis insensé peut-être dans mes inquiétudes, mais j’adresse à ton ombre, à ton âme céleste, les élans d’un cœur que tu as tant de fois calmé.

Que ce soit faiblesse de notre nature, comme le disait M. Necker, ou dessein miséricordieux de la Providence, il n’est pas donné aux sentimens humains, quels qu’ils soient, de demeurer au delà d’un certain temps au paroxysme. Chacun de nous a pu, avec quelque humiliation, en faire l’épreuve. Avec les années, ce qu’il y avait durant les premiers jours d’un peu maladif dans la douleur de M. Necker devait s’apaiser, pour se transformer peu à peu en un tendre et fidèle souvenir. Il était cependant encore tout entier à ses regrets lorsque, au cours de l’année 1797, les portes de Paris s’étant rouvertes devant Mme de Staël, elle vint se réinstaller à l’ambassade de Suède, le laissant seul à Coppet. À partir de ce moment, les lettres qu’il écrira à Mme de Staël, celles qu’il recevra d’elle seront sa principale distraction. J’espère que quelques extraits des unes et la publication intégrale des autres n’ennuieront pas le lecteur.

Haussonville.