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sa situation entre deux mers, l’étroitesse des passages qui, dans la Manche et dans la Méditerranée, font dépendre son indépendance territoriale et sa sécurité commerciale des positions dominantes occupées par ses voisins, la leçon de son histoire et de toutes les histoires, prouvent qu’elle ne peut se désintéresser des choses de la mer ; j’oserai dire qu’elle ne s’en est désintéressée que trop.

Le commerce d’outre-mer est, pour une grande puissance, le plus facile et le plus avantageux de tous, parce qu’il s’assure les marchés où les valeurs d’échange abondent et où les concurrences sont rares. Les produits coloniaux sont, le plus souvent, des matières premières indispensables à la mère patrie : occuper les territoires où ils naissent est un devoir des générations qui en ont l’opportunité envers les générations qui leur succéderont. A titre d’exemple, ne peut-on pas citer les régions où se cultive le coton, devenues, pour les puissances manufacturières, le plus précieux des héritages ? Il en est de même de celles qui produisent le café, les épices, la canne à sucre, le riz (qui nourrit l’Asie entière) et tant d’autres fruits de la terre dont la consommation et le prix augmentent et augmenteront sans cesse, tandis que leur culture sera toujours restreinte à certaines zones et à certains climats. Faut-il citer encore une substance dont l’avenir est incomparable : le caoutchouc ? Ce sera une des erreurs qui seront reprochées, par l’histoire, à la France actuelle, de n’avoir pas su garder l’immense domaine « caoutchoutier » que Brazza avait su lui assurer au Congo. La vigne algérienne n’a-t-elle pas, pendant la crise du phylloxéra, sauvé le marché vinicole français ? Et ne tiendrons-nous nul compte de l’immense clientèle que la population des colonies, sans cesse accrue et répandue dans l’univers, assure à l’exportation de la mère patrie ?

Les argumens d’ordre économique se multiplieraient à l’infini : les argumens d’ordre politique et historique sont plus pressans encore. Un grand peuple ne peut se renfermer en lui-même sous peine d’étouffer et de périr. Il est dans tous les temps, selon le mot de Talleyrand, « de ces hommes fatigués sous l’impression du malheur dont il faut, en quelque sorte, rajeunir l’âme ; » il est, dans tous les temps, « des hommes qui ont besoin d’espérance ; » il est, dans tous les temps, des hommes qui ont soif de la nouveauté, de l’aventure, des larges espaces,