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quand nous étions, selon le mot de Vergennes, « dans un état d’arrondissement suffisant, » et alors que nous avions le monde grand ouvert devant nous.

La vraie politique nationale, trois siècles d’efforts, des résultats déjà remarquables, tout cela fut abandonné sans autre réflexion : il est naturel et logique que le mot terrible et naïf adressé à Bougainville ait été prononcé par la marquise de Pompadour ; elle ne l’aurait pas dit, qu’il serait vrai dans sa bouche. Au contraire, Choiseul, un des rares hommes d’Etat français du XVIIIe siècle, avait le sens profond de « la maîtrise de la mer. » Il prépara la flotte qui assura, en Amérique, la revanche de la guerre de Sept ans et qui eût pu nous rendre le Canada. La France a eu le malheur, en ces temps, d’abord de ne pas être conduite et surtout de ne pas être comprise.


Oui, notre histoire coloniale, sous l’Ancien Régime, a manqué d’esprit de suite et d’esprit de sacrifice. Ceci dit, n’accusons pas, uniquement, la légèreté, la versatilité ou la parcimonie obérée du gouvernement : il y eut souvent des difficultés presque insurmontables : l’éloignement, le manque de ressources, l’ignorance, la difficulté des renseignemens et, par conséquent, des résolutions et des partis pris vigoureux.

Tout le long des trois siècles coloniaux de l’Ancien Régime, les appels de la colonie à la mère patrie et les défaillances de celle-ci aux heures décisives, crèvent le cœur. M. H. Garneau constate, avec Egerton, que le roi Henri IV lui-même, si sympathique qu’il fût à l’œuvre canadienne, entend la colonisation « à la façon d’Elisabeth et de Jacques Ier : sans rien tirer de ses coffres (Lescarbot), et ne lui accordant qu’un appui moral, il se contente de concéder à des compagnies de commerce des privilèges étendus[1]. » Richelieu lui-même, quoiqu’il ait eu le véritable sens de l’expansion lointaine, n’a pas su appliquer au Canada le système de tolérance à l’égard des Huguenots qu’il pratiquait en France et sa volonté, si forte, s’est laissé détourner, sur la fin, par les nécessités de sa politique européenne. Champlain s’écriait, même en ces temps favorables : « Hé ! bon Dieu ! qu’est-ce que l’on peut plus entreprendre si

  1. Garneau, App. LIII, p. 26.