Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/818

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Indes, autre prophète, celui-là sans génie, se répand en diatribes sur l’œuvre française au Canada ; suivant le préjugé de l’école, il trouve tout admirable sous le régime britannique et tout déplorable sous le régime français. Et, en 1781, quand, à la suite des victoires françaises dans la guerre de l’Indépendance américaine, il est question de réclamer le Canada à l’Angleterre, qui s’élève contre le retour de la colonie à la mère patrie ? Raynal, le même Raynal qui fut, en ces matières, le grand éducateur de son siècle. Il adjure ses contemporains de ne pas oublier que « tout domaine séparé d’un État par une grande distance est précaire, dispendieux, mal défendu et mal administré... ; » il affirme que « renoncer a une contrée que diverses puissances revendiquent, c’est communément s’épargner des dépenses superflues, des alarmes et des guerres, et que de la céder à l’un de ceux qui l’envient, c’est lui faire présent des mêmes calamités... » Plût aux Dieux que l’Angleterre, dans sa défaite, eût tenu le même raisonnement que la France dans sa victoire ! Ainsi, ce n’est pas sans la complicité de l’opinion, que « le gouvernement nous a, selon le mot de Chateaubriand, exclus du seul univers où le genre humain recommence[1]. »

Grâce aux publications si importantes et si intéressantes qui ont fourni le sujet de la présente étude, la « leçon du Canada » apparaît maintenant, dans sa trop claire évidence. Ni le gouvernement ni la nation n’eurent jamais, à fond et à plein, le sentiment de la grandeur de l’œuvre que quelques pionniers avaient commencée sur l’autre rivage atlantique et que des héros y avaient défendue : on lui marchanda toujours l’existence ; on n’eut jamais confiance en son avenir. Or, quand on considère le chemin parcouru, quand on réfléchit à l’étonnante multiplication des cinquante mille Français, laissés par le XVIIIe siècle sur les arpens de neige, quand on sait, de science trop certaine, ce qu’est le Canada aujourd’hui, ce que sera le Canada demain, on porte le deuil inconsolable d’une telle perte, le regret le dispute au remords.


Et la pensée se reporte sur l’Empire colonial que vient de restaurer la France : on se demande si, la conception et l’institution étant également belles et grandes, le résultat final sera

  1. Voyez la savante étude de M. E. Salone, Guillaume Raynal, historien du Canada ; 1 vol. in-8, Guilmote.