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premier, l’unique. Les architectes du baroque trouvaient leur profit à ce que leurs contemporains ne reconnussent de beauté qu’au style baroque, et chaque peuple aime à croire que sa littérature est la meilleure du monde...

— Et par conséquent, interrompit Alverighi, j’ai raison de dire que la machine et l’Amérique ont rendu un grand service au monde en purifiant l’art des intérêts qui le souillaient.

— Certes, approuva Cavalcanti. Mais, puisque la beauté est infinie, nous ne pourrons en jouir que par le procédé opposé à celui dont vous parlez monsieur Rosetti, c’est-à-dire en nous affranchissant de ces limitations où les intérêts cherchent à nous enfermer, et, par suite, des règles arbitraires établies par les écoles, des préjugés conventionnels de l’époque.

— Donc, la liberté ! interrompit de nouveau Alverighi. Je suis content, monsieur Cavalcanti, de vous avoir persuadé.

— Sans aucun doute ! répondit Cavalcanti qui s’animait de plus en plus. L’art est une langue éternelle et universelle, quoique chaque peuple et chaque époque l’écrivent avec les caractères qui leur appartiennent. D’un pays à un autre, de demi-siècle en demi-siècle, on voit changer ce que Sainte-Beuve appelle « les modes de sensibilité, » les aspirations, la mode, les goûts, les formes, l’alphabet dont les artistes se servent pour exprimer la beauté ; mais, du Japon à la France, des temps anciens aux temps modernes, l’art, comme la beauté est unique ; et, par conséquent, nous devons, nous, avoir des nerfs différens pour les différentes manifestations artistiques, comme je le disais l’autre jour. Efforçons-nous donc de les comprendre toutes en supprimant les apparentes différences que les temps, les lieux et les intérêts introduisent dans la beauté ; élevons-nous autant qu’il nous est possible au-dessus du temps et de l’espace pour arriver à entendre la beauté éternelle et absolue, cette langue commune de l’humanité ! Vous rappelez-vous ce que j’ai dit, lorsque nous discutions sur Hamlet ? Je regrette d’avoir à me répéter et je vous en demande pardon ; mais il s’agit du seul mérite dont, à mon avis, les Américains puissent se glorifier en face des Européens pour ce qui concerne l’art. Non, nous ne sommes pas exclusifs comme les Européens ; nous nous efforçons de comprendre et d’admirer tout... J’aurais presque envie de crier comme Colomb : « Terre ! terre ! » ou comme les Grecs de Xénophon ! « Thalatta, thalatta ! » Comme nous étions de loisir,