Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/872

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que les idées ne sont pas des moules tout faits et définitifs dans lesquels se coule toute réalité ? Au lieu de parler comme Platon d’une immobile éternité, dont le temps n’est que la mobile image, Alfred Fouillée voulait rapprocher le monde des idées et le monde matériel. Et dans le platonisme même, il lui plaisait de voir surtout ce grand principe « que toutes les idées s’impliquent dans l’être, et que, par conséquent, pour qui peut les embrasser toutes à la fois en sa conscience, la philosophie consiste à montrer le passage de l’une à l’autre et à poursuivre ainsi l’adéquation au réel infini, immense, éternel. »

Il lui parut que pour cette œuvre la philosophie régnante de son temps lui donnait peu de secours. Que trouvait-il dans la seconde moitié du XIXe siècle ? L’éclectisme de Victor Cousin venait de mourir. Toutes les attentions se tournaient vers les sciences, vers les doctrines positivistes, vers les théories de l’évolution. Alfred Fouillée a parlé des unes et des autres sans indulgence. A son jugement, l’évolutionnisme physique, qui donne du monde une explication toute mécanique, est insuffisant. Comme il place la causalité dans le monde extérieur, il réduit le monde intérieur à n’être qu’un simple aspect de l’autre, une sorte d’ombre qui n’a pas d’existence propre. Au-dessus de l’un et de l’autre, il place l’Inconnaissable, dans lequel ils s’unissent, mais cet Inconnaissable par définition est hypothétique ; on ne peut rien en dire. Le positivisme de Comte ne lui paraissait pas plus satisfaisant. Sans doute il y a une partie de la réalité qui appartient aux relations proprement scientifiques, nombre, espace, temps. Mais on ne peut prétendre, dit Alfred Fouillée, que la philosophie doive exclusivement se guider sur la science, et que toute vérité soit d’ordre purement scientifique. Le positivisme prétendait être d’abord une codification des lois naturelles, et ensuite une application sociale des sciences. La philosophie doit être plus, elle est une réflexion sur la science, une critique générale, une coordination générale, une interprétation générale. Elle aborde en outre des questions que nulle science particulière ne pose ni ne résout. La nature ultime du réel, surtout de notre réalité à nous, dit Fouillée, qui est pour nous le type des autres, ne pouvant s’exprimer en termes de connaissance objective, la science proprement dite ne donne pas pleine satisfaction à l’intelligence, sans parler de la volonté et du sentiment. Et il ajoute, non sans sévérité : « C’est ce