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Bien suprême, et, sans se préoccuper de la notion d’un impératif catégorique, gardent un caractère humain et esthétique. Il les a plutôt rapprochées que conciliées, et le livre de Morale donne surtout au lecteur le sentiment d’avoir fréquenté un de ces ouvrages dont parlait La Bruyère et dont le mérite est d’inspirer « des sentimens nobles et courageux. »


A cette morale se trouve tout naturellement liée une sociologie et même une politique. Ici sans doute, il faut faire la part des préférences de l’auteur. Il n’est pas certain que la psychologie des idées-forces doive mener nécessairement à des conclusions favorables à la démocratie et au socialisme d’État, car pourquoi l’idée de démocratie aurait-elle en soi plus de force que l’idée d’oligarchie ? Cette réserve faite, on devine comment s’enchainent à ses autres théories les théories sociales de Fouillée. Puisque l’idée complète de nous-même suppose l’idée d’autrui, l’individuel et le social sont inséparables. « La perfection d’autrui, écrit l’auteur, n’est pas pour moi un moyen, elle est une de mes fins. » Tout ce qui touche la société par conséquent contient aussi quelque chose intéressant les individus, et toute fin personnelle légitime a un contenu social. Justice et charité sont les aspects sociaux d’actes qui, considérés du point de vue individuel, sont sagesse et courage. L’idée-force du moi, comme on l’a constaté, suppose l’idée-force de la société universelle. Les autres êtres raisonnables ne nous sont pas extérieurs. Tout acte doit être considéré dans ses effets pour tous les êtres, y compris nous-même. Si bien que Fouillée demande aux individus de se conduire de sorte que la société prenne leur action pour règle, et à la société d’agir de telle manière que son action puisse servir de règle aux individus.

Fidèle à sa méthode de conciliation, il n’est donc ni individualiste, ni socialiste. Il ne croit pas que le devoir social soit une simple extension du devoir individuel et que toute obligation se réduise à des relations d’individu à individu ; il ne croit pas davantage que le devoir individuel soit un cas particulier du devoir social. Le devoir lui semble à la fois individuel et social, et quand on n’aperçoit pas cette identité, c’est qu’on ne saisit pas assez d’après lui le lien réel qui unit le bien des individus