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manqué de le faire : toute leur histoire, depuis un grand nombre d’années déjà, porte la marque de cette double préoccupation. L’influence autrichienne et l’influence italienne se sont exercées parallèlement et ont menacé quelquefois de le faire contradictoirement jusqu’au jour où les deux pays ont conclu entre eux les arrangemens auxquels nous avons fait allusion. Ce qui devait arriver est arrivé. A l’instant même où l’Autriche a paru s’apprêter à intervenir en Albanie, l’Italie a ouvert ou repris à ce sujet la conversation avec elle. On a rappelé à Rome qu’au début de la guerre italo-turque, lorsque la marine italienne a tiré quelques coups de canon dans les environs de Preveza, le gouvernement austro-hongrois a fait des observations devant lesquelles le gouvernement italien s’est incliné. Fort de ce précédent, le Cabinet de Rome a déclaré que, si l’Autriche allait en Albanie, il ne manquerait pas d’y aller aussi. De quoi s’agissait-il pourtant ? D’amener le Monténégro à évacuer Scutari. Il semblait donc que le plus simple était d’agir sur le Monténégro lui-même, mais on s’y est opposé à Rome. L’alliance de famille qui existe entre les deux familles royales d’Italie et de Monténégro a servi de prétexte à cette opposition. En fait, il y avait une autre cause : une action directe sur le Monténégro ne touchait pas à la question albanaise et l’occasion de la poser a paru bonne. Allez à Scutari, a dit le gouvernement italien au gouvernement autrichien : j’irai à Valona.

Est-ce bien pour aider l’Autriche dans son action sur Scutari que l’Italie serait allée à Valona ? Les deux villes sont très éloignées l’une de l’autre, et rien n’aurait moins ressemblé à une action commune que celle à laquelle les deux gouvernemens auraient procédé. Mais si ce n’est pas pour aider l’Autriche que l’Italie serait allée à Valona, pourquoi serait-ce, sinon pour prendre un gage contre elle ? On a pu voir alors jusqu’au fond des cœurs, jusqu’à la subconscience elle-même, jusqu’à ces régions mystérieuses où s’élaborent les désirs inavoués. L’Italie, dans sa défiance instinctive, a pensé que, si l’Autriche allait au Nord de l’Albanie, elle pourrait bien y rester : allons donc au Sud, s’est-elle dit, et advienne que pourra. Nous ne croyons nullement qu’il y ait eu, de la part des deux gouvernemens, un projet ultérieur nettement arrêté. L’Autriche sentait derrière elle l’Europe attentive et prévenue. L’Italie a dans la Tripolitaine une armée de 100 000 hommes qu’elle ne peut pas encore en rappeler. Ce n’étaient pas là des conditions excellentes pour s’engager dans une affaire qui comportait une partie d’aventure. Toutefois, l’occasion était tentante de faire quelques-uns de ces gestes qui dessinent les linéamens