Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 16.djvu/218

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme du second principe de la thermodynamique : ces principes ne sont rigoureusement valables et démontrables que pour des systèmes limités. Avant de les étendre à l’Univers, il faudrait être sûr que celui-ci ne fût pas infini. Or tout tend à prouver, — nous examinerons quelque jour cette question, — que c’est le contraire qui est vrai. Comment peut-on parler alors de l’énergie et de l’entropie d’un système infini ? Ces expressions n’ont plus de sens ; l’extrapolation à l’infini des petites données de nos laboratoires non seulement n’est pas justifiable, mais elle cesse d’avoir la moindre signification. Que peut-il y avoir d’intelligible dans ces mots : l’énergie totale ou l’énergie utilisable de l’Univers, si celui-ci est illimité ?

Ces difficultés n’ont pas arrêté pourtant ni de part ni d’autre certains esprits systématiques. Elles auraient dû faire hésiter à la fois ceux qui proclament avec assurance la permanence du monde, le retour éternel des choses, et aussi ceux qui nous affirment la mort prochaine et nécessaire du Cosmos. Il est, en tout cas, un fait curieux et qui est de nature à embarrasser plutôt ces derniers. Si, comme ils le pensent, l’Univers marche constamment dans le même sens, conformément au principe de Carnot, c’est-à-dire si les températures tendent à s’égaliser et le mouvement à disparaître, on peut se demander pourquoi cette mort calorifique de l’Univers ne s’est pas encore établie depuis les temps infinis que le monde existe.

On répondra que celui-ci n’a pas existé de toute éternité, ce qui est inconciliable avec le premier principe thermodynamique, à moins que toute l’énergie existante ait eu une origine subite au moment même de la création. Et on voit que par là le problème est intimement lié aux données les plus délicates de la théogonie. On peut encore exposer cela sous une autre forme : si l’Univers marche dans le sens voulu par ce principe de Carnot, on est conduit à ce dilemme étrange et qui est le seul compatible avec la durée illimitée de la substance dans le passé : ou bien à une époque très reculée il a régné dans le monde des différences de températures et des vitesses infiniment grandes (et l’Univers devait présenter, alors, des phémonènes d’une telle intensité et d’une telle violence que nous ne pouvons nous en faire aucune idée) ; ou bien le monde n’a pas toujours été soumis aux lois qui le régissent maintenant. Il faut bien de l’esprit pour ne point vouloir résoudre ces difficultés.

On comprend dans ces conditions que l’un des défenseurs les plus éminens du principe de Carnot et de sa validité universelle, lord Kelvin, n’ait cru pouvoir exprimer que sous une forme extrêmement