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lontaire tribut aux puissances qu’ils attaquent. Et il reste clair pour tous que, du formidable système autrefois forgé par le précepteur d’Alexandre, il ne subsiste plus que des morceaux. Comme une plage assiégée par le flot montant voit la mer la cerner, s’insinuer parmi ses sables, sourdre çà et là en flaques grandissantes qui se rejoignent peu à peu et finissent par la submerger toute, — ainsi la Science aristotélicienne a vu contester bruyamment, puis rejeter tumultueusement ses principes essentiels et ses théories particulières ; sa disparition complète n’est plus qu’une affaire de temps.

Voilà le fait. — Comment s’explique-t-il ?

La Science aristotélicienne a été démolie, la Science parisienne a été construite par l’action combinée de deux forces, l’esprit d’observation, la foi chrétienne.

L’essor de l’esprit d’observation est attesté en Occident, lors de la grande Renaissance du xiie siècle, par l’apparition de la science des poids (Scientia de Ponderibus). Un géomètre de génie dont nous savons le nom, Jordanus de Nemore, et dont nous pouvons soupçonner qu’il travaillait en Angleterre, détermine, avec autant de concision que d’élégance, la notion de gravité secundum situm ; il entrevoit la méthode infinitésimale, il invente la méthode des travaux virtuels et justifie par là la loi d’équilibre du levier ! Un de ses disciples, qu’on peut appeler Jordan le Jeune, continue ses géniales découvertes ; il prouve la loi d’équilibre du levier coudé et résout de façon irréprochable le problème du plan incliné.

L’optique progresse du même pas ; le franciscain anglais John Peckham (1228-1291) résume le traité d’Alhazen qu’étudiait passionnément Bacon, au moment où le Polonais Witelo, ou Witek, compose sur les mêmes matières un gros livre (1270), demeuré classique jusqu’à Kepler. Trente ans plus tard, le dominicain Thierry de Freiberg imagine de très ingénieuses expériences, découvre que les rayons qui nous font voir l’arc-en-ciel se sont réfléchis à l’intérieur des gouttes d’eau sphériques ; il réussit même à tracer avec exactitude la marche des rayons qui constituent les deux arcs.

Et le magnétisme ne reste pas en arrière de l’optique ni de la statique. Pierre de Maricourt (Petrus Peregrinus) excelle à enchaîner sûrement le raisonnement et l’observation ; il sait très précisément décrire l’aimantation permanente du fer, les pro-