Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
85
ESQUISSES MAROCAINES.

pères, toujours tout droits sur les grandes selles, le regard hardi, sont contens. Leurs fils sont voués et consacrés.

Ecoutez ensuite le bourdonnement des voix d’enfans dans les écoles et voyez, en passant, tous les écoliers assis sur les nattes, les genoux croisés et qui balancent leurs corps tandis que dans la cadence machinale, pareille à celle des han ! han ! sur les barcasses, les syllabes, puis les mots, puis les versets du Coran se gravent dans leurs cervelles. Han ! han ! On dirait de petits soldats à l’exercice s’entraînant à quelque gymnastique rigoureuse. Mais ce n’est pas leur corps qu’ils dressent dans cette oscillation longue et régulière, c’est leur âme. Les phalanges de Mahomet s’éduquent, toutes pareilles, au culte qui sera tout ensemble un culte d’inertie et de combat. L’écolier qui balance son corps et jette sa tête de droite à gauche comme s’il la frappait contre deux murs, offre la passivité de son âme au martellement des mots sacrés, et l’énergie de son corps, la chaleur de son sang à la défense passionnée du vieux cercle de fer où il entre en cadence, où sa pensée va se mutiler et s’emprisonner. Passivité, violence, c’est sa destinée musulmane. Passivité de l’animal sensible dont nous admirons les beaux gestes paresseux, les souples étiremens, qui mire le soleil dans ses yeux de flamme, goûte la feuillée tiède où il se couche, la fraîcheur du matin qui rajeunit son sang, passivité du bel animal docile à l’instinct qui commande sa vie et qui, violent, se dresse les griffes ouvertes, les dents aiguës, la mort dans le regard, contre qui vient surprendre le calme ignorant de son existence, le secret de son repaire.

Et la mort, ce rite suprême et révélateur de la vie ! Chez nous, de quoi nous parle le cortège de deuil, sinon de larmes ? Ici, voyez la petite procession rapide qui s’ébranle, clamant avec une sorte de joie farouche le nom du Prophète et le nom d’Allah. Le mort est porté dans un léger cercueil, la face découverte, le corps enveloppé comme pendant la vie sous les plis blancs. Cahoté sur les épaules de ses frères, le mort court à sa tombe, et tandis qu’il descend dans la terre, ses frères, ses amis répètent à satiété, comme pour vaincre l’éternel silence, l’axiome unique sur lequel il a vécu, sur lequel il meurt et entre en cet instant en possession du ciel. Dieu est Dieu et Mahomet est son prophète. Jusqu’à ce que la dernière pelletée déterre le recouvre, dans le champ uniforme où tant de vies déjà sont mêlées à tant