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de sacs à viande, à mil. Cela bouche l’horizon. Peu de gardiens surveillent ces sages animaux qui, de leurs tôles lippues et curieuses, examinent le lieu, hument l’air, qui s’inquiètent, dirait-on.

Cependant une dune crépite là-bas. Les partisans du rezzou écartent de leur prise le goum découvert. Pas un de ces tireurs n’apparaît. Voilà toute la guerre du Sahara. Et voici tout son décor : ces ondulations de sable moiré qui scintille à l’infini dans le silence incandescent. Pas un oiseau qui chatoie dans l’air. Seuls de gros coléoptères noirs tracent sur l’arène leur itinéraire aux brèves distances, puis s’enfouissent dans les trous.

Néanmoins il se pourrait, — car il s’est pu, — que, de droite ou de gauche, vers les points que les sergens explorent, la main sur les yeux, il surgit brusquement une ligne de méharis éperonnés, poignardés, barissant sous des hommes en boules ; ceux-ci masqués de bleu, couronnés de loques, gonflés par les draperies, avec leurs gestes à lances, à glaives droits, à fusils, avec leurs clameurs de massacre. Il se pourrait qu’une longue minute on les vît accourir obliques au sol, dans l’étincellement de la poussière. Les pattes des dromadaires blanchiraient au soleil et leurs cous recourbés. Très loin encore, ils ressembleraient à une course d’autruches géantes. Plus près, on distinguera les braies bleues des guerriers crispés sur leurs rallahs, les lippes tendues des méharis que tire la cordelle de la narine, cruellement. Les feux à répétition précipiteront à terre, peut-être, quelques-unes de ces bêtes, mais le reste de l’escadron grandirait vite. Les fantômes glissés à terre galoperaient frénétiquement, plus que les coursiers, points de mire tout blancs, élargis par le vol de leurs boubous et les éclairs de leurs fusils. Il se pourrait qu’en dépit des chutes, des agonies et des désordres, cette horde, tout à coup, fût là, barbare, hurlante, derrière les cous tordus de ses chameaux, derrière les boucliers de parchemin en forme d’écus héraldiques, recroquevillés sur les bords, derrière ses blessés abattus par la dernière salve, et qui ramperaient, la dague au poing, pour, du moins, égorger avant de mourir. Des gestes aux bracelets de marbre épauleraient les carabines contre les joues en litham, sous les yeux de feu. Des javelots traverseraient l’air et vibreraient en pénétrant les chéchias des crânes. Peut-être se dresserait-il là, ce chef berabich qui tanna la peau du visage arrachée à un de nos lieutenans,