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et leur frères, élisent un juge, l’Alkali, à qui les unes et les autres témoignent une confiance dont ne bénéficient pas le cadi, ni même, pour certains litiges spéciaux, le magistrat de France. Ce parangon de l’équité condamne à des amendes onéreuses, au don coûteux d’un bœuf, ou de dix mille colas, par exemple, si l’un des participans manqua de courtoisie envers les camarades à l’occasion d’une naissance, d’un décès, d’un mariage, d’une circoncision, d’une excision. Quel autre peuple châtierait autant les défaillances de la civilité ? Notez que la coopérative tout entière paye pour le délinquant. S’il y a résistance, le procès vient devant un groupe d’hommes plus âgés, et jusqu’au groupe des vieillards. On peut en appeler encore à la Djemmaâ constituée par les associations du quartier, par les mandataires des coopératives fonctionnant dans les trois autres quartiers de Tombouctou. Il arrive que trois cents délégués s’assemblent ainsi pour rendre, en dernier ressort, une sentence, sous la présidence de l’Askéou en chef.

En ce moment, les coopératives reconstruisent la ville. Elles accotent les unes aux autres ces demeures d’argile presque toutes pareilles à celle de M. Dupuis. Chacune contient, à des niveaux différens, quelques chambres étagées autour de la courette centrale, réunies par des corridors étroits et bas, éclairées par les découpures en arabesques des volets marocains. Coussins et nattes, coffres en cuir bardés de ferrures complexes, plateaux et tasses de cuivre, meublent ces petites salles ombreuses, fraîches, confortables. Logis de la pensée, de la méditation, de la lecture, du calcul. Logis de savans, de dévots et de marchands couchés devant leurs manuscrits, leurs corans ou leurs comptes, sans trop de mouvemens inutiles, causes de transpiration, puis de lassitude. Logis d’idées secrètes et d’espoirs mystérieux. Dans la cour, la jeune captive en pagne manœuvre son pilon à mil. Dehors, des marmots jouent, tout gris de sable qui saupoudre leurs corps en bronze potelé. Sur un tapis de Niafunké, des femmes à trois houppes, accroupies, étendues remplissent, de leur babil, la chambre blonde. Elles tirent le fil de la quenouille memphitique emmaillotée de coton. La plus vieille conte les légendes des chasseurs aux exploits étranges et comiques, dont M. Dupuis a traduit un ensemble.

Évidemment, rien n’a changé, dans ces demeures, depuis cinq ou six siècles, si ce n’est la joie de l’Afrique peu à peu