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étouffée par l’effroi quotidien ; mais le marchand, qui sort de ces intérieurs pour se rendre au grand marché, n’a point d’autre vêture que celle de ses ancêtres, ni d’autres idées. Eux et lui supputent combien de sel arrivera de Taoudéni, à raison de quatre barres par dromadaire Kounta, en surplus de la provision que fut chercher l’azalaï. Le total de l’importation sera-t-il 2 500 ou 3 000 tonnes cette année ? Et combien les Berabichs eux-mêmes exigeront-ils en échange de quatorze barres. Treize représentent, selon eux, malins chameliers, le dédommagement pour la peine de transporter la quatorzième ; seule fraction rémunératrice du pauvre mineur peinant aux puits d’Agorgoth où cinquante personnes, sur deux cents, moururent de faim, on 1910.

Et combien les chefs de la caravane devront-ils verser, là-bas, entre les mains de ces saulniers ? Cinq kilos de mil pour huit planches de sel, travail d’un jour ? Ou pour dix ? Elémens indispensables du problème relatif à la hausse ou à la baisse prochaine des cours. Toutes les barques du Niger emporteront-elles leur charge du condiment ? Les unes remontant vers Niafunké et Wopti ; les autres descendant vers Gao, Tillabery Niamey, semant leur cargaison dans les ports du fleuve, de ses affluens navigables. La planche de 30 kilos vaudra-t-elle 11 fr. 50 ou 12 francs ? L’azalaï rapportera-t-elle, 70 000 barres ; ou plus ? Les courtiers placeront-ils le tout, à bon prix, dans la Boucle du Niger, pour assaisonner les repas songaï, peuhls et lobis ?

Ainsi pense le courtier en son boubou à broderies savantes, sous la toque de coton. Il baisse les cils contre ses regards blessés par la lumière que réfractent les parcelles du sable entre les murs blonds. Il arrive au marché principal qu’emplit la foule blanche et bleue, la foule à grands plis, la foule qui déambule devant les baraques, dômes de nattes arrondies sur des branches courbes, devant les modestes étalages à terre des femmes bellas, sévères entre leurs tresses, des femmes songaïs, tristes sous leurs trois houppes, des fermières bambaras, rieuses sous leurs cimiers. Il admire que les commerçans de France aient bâti ces longues maisons où s’entassent, en quantité considérable, tous les produits, et que, dans la factorerie magique, l’on offre tant d’ustensiles commodes en fer-blanc, tant d’ombrelles pendues, tant d’objets sous les vitrines des