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de Paris, tout lumineux par ses cristaux, ses porcelaines, son argenterie, par ses vingt ustensiles délicats et propices à la communion solennelle de l’homme avec les essences comestibles de l’univers.

Une fois de plus, il siéra de constater quel brillant génie anime les cerveaux de ces officiers, de ces administrateurs, de ces docteurs contraints à tous les miracles par les nécessités de la conquête, par le manque quotidien de tout, par l’absurde indifférence du Parlement pour notre Carthage. Nos tirailleurs soudanais sont tellement accoutumés à voir leurs chefs se tirer d’embarras par magie, qu’ils répondent, aux momens difficiles : « Moi peux pas ; mais toi, lieutenant, débrouille toujours ; y a ça bon ! » Et il semble vraiment que ce soit là l’opinion de toute l’Afrique devant les prodiges accomplis par les quelques poignées de stoïques au cœur romain.

Après le colonel Roulet, de qui les Parisiens connaissent l’éloquence et l’heureux savoir, c’est le colonel Sadorge qui préside aux destins de Tombouctou avec la collaboration de M. l’administrateur Vadier. Portant sa gloire de soldat célèbre, en toute modestie, le colonel ne laisse passer, sous la moustache épaisse, que des paroles exemplaires. Très simple, il préfère que ceux de son entourage brillent, qu’ils content leurs exploits de chasseurs ou de guerriers, qu’ils dissertent avec maîtrise sur les sujets de leur compétence. Il semble dire : « Voilà comme ils sont, et comme j’aime qu’ils soient. » Un chef conscient de son mérite n’a point à paraître lui-même. On juge de sa maîtrise d’après les talens qu’il a su rassembler, guider, ou qu’il laisse librement s’épanouir.

Voici l’un de ces hommes. C’est un très beau garçon à cheveux d’or. Son képi a le bandeau bleu-ciel des spahis. Cet Apollon organisateur se propose la formation d’un goum auxiliaire parmi les gens de Oualata, la cité récemment conquise, la ville aux inestimables manuscrits du XIIIe siècle que M. Bonnel de Mézières a recueillis, que M. Delafosse et son beau-père traduisent, commentent, source d’une histoire prochaine. Ce lieutenant explique passionnément son dessein. Seul, ou presque, dans ces lieux, parmi les campemens de nomades, il ira trouver chacun des meilleurs. Il lui dira qu’il faut aimer notre œuvre de civilisation, s’armer, combattre, mourir pour elle. Et plus. S’astreindre à la discipline des Latins, à la probité française.