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conception sèche d’une religion pour le peuple. Je ne suis pas de ceux qui aiment dans le catholicisme une gendarmerie spirituelle ! C’est pour moi-même que je me bats. Une église dans le paysage améliore la qualité de l’air que je respire. Parfaitement ! Ce qu’il y a de plus vivant et de plus noble chez les gens de France et chez moi s’accroît dans l’atmosphère catholique. Chacun de nous trouve dans l’église son maximum de rendement d’âme. Je défends les églises au nom de la vie intérieure de chacun.

— C’est bien extraordinaire.

— Mais non ! leur dis-je, fort ordinaire. Seulement, il faut avoir de l’expérience et de la rêverie. C’est la courbe normale d’une vie à la française et sans doute du plus grand nombre des vies dans tous les climats.

Et je suis tenté de leur raconter une espèce de petite histoire, la mienne, la leur, celle de tout le monde, une allégorie en trois points qui ne vaudrait complètement que si les paroles en étaient rayées et remplacées par de la musique, par cette musique courte et profonde qu’un Henri Duparc sait écrire, musique pareille à ces rivières lentes et noires qui coulent à ras de terre dans une campagne déserte.


Pax aut Bellum. — Il y a une trentaine d’années, je faisais mon premier voyage d’Italie. J’avais vingt ans. J’apprenais l’italien, j’étudiais l’histoire des arts et l’histoire du Risorgimento, je m’émouvais des gloires de la place publique et de celles qui se perfectionnent dans la solitude ; je lisais les poètes et je regardais les charmantes figures des jeunes Italiennes pareilles aux vierges des musées. Autour de moi, tout était poésie, romanesque, éclat, volupté, et je me disais : Quand pourrai-je me placer dans une de ces belles séries ? Quand donc en aurai-je fini avec ces lentes préparations de ma vie ?

Ces heures déjà lointaines, je les revois nettement, comme des îles brillantes sur la mer, et je me rappelle, entre autres, un jour que j’ai passé à Monte Olivetto, près de Sienne, dans le vieux couvent rouge sur la colline de cyprès noirs. Depuis lors, beaucoup de plaisirs et d’ennuis sont venus s’interposer entre mon esprit et ces images du passé. N’importe ! je respire encore les plaisirs que ce printemps italien dégageait de l’immense paysage raviné, calciné, planté d’arbres de cimetière, et je perçois,