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consacrés un intérêt d’actualité tout particulier, c’est que Meusnier fut un des précurseurs les plus importans de cette « double conquête de l’air, » comme dit M. Darboux, à laquelle assiste notre époque. Issu d’une vieille famille de robe de la Touraine, Meusnier fit ses études à l’École du génie de Mézières, dont il sortit, comme le grand Carnot, officier du génie. Peu après, il avait vingt-deux ans, il publie un Mémoire sur la théorie des surfaces dont plusieurs résultats sont restés classiques en géométrie et suffisent à rendre son nom immortel. Ce travail frappa à tel point l’Académie que d’Alembert s’écria en l’écoutant : « Meusnier commence comme je finis. » Et du coup, l’Académie des Sciences l’élut comme correspondant à un âge où tant d’autres sont encore sur les bancs de l’école. Il prit, peu après, une part prépondérante à la construction de la rade fortifiée de Cherbourg[1] ; il y lutta avec une énergique probité contre les malversations qu’il découvrit dans l’entreprise dont était chargé Dumouriez, qui depuis…

À cette époque, l’Académie des Sciences obtint du gouvernement que le jeune officier aurait chaque année un congé de six mois, pour poursuivre à Paris ses travaux scientifiques. Voilà une faveur que l’Académie aurait sans doute peine à obtenir aujourd’hui dans un cas analogue. Loin de moi l’idée d’en vouloir tirer argument contre l’abus démocratique delà réglementation égalitaire. Mais le cas de Meusnier a prouvé que, même en matière de science, le « fait du prince » a parfois du bon. On en jugera par les résultats qu’obtint Meusnier : en 1784, peu après la découverte des frères Montgolfier, le surlendemain du jour où le physicien Charles, qui eut l’idée de gonfler un ballon à l’hydrogène, s’élevait pour la première fois dans un de ces ballons, Meusnier lisait à l’Académie des Sciences un mémoire qui marque une étape décisive dans l’histoire de l’aérostation ; car il y étudie, d’une manière qui est restée définitive, les conditions de manœuvre et de flottabilité des ballons, et y expose sa découverte du ballonnet à air, qui permet de faire monter ou descendre le ballon sans perdre de gaz et sans jeter de lest. Le ballonnet à air, qui est aujourd’hui l’organe essentiel de tous les aérostats et permet d’une part d’assurer leur invariabilité de forme si nécessaire dans les dirigeables, d’autre part d’être maître de leur stabilité verticale, est resté

  1. C’est à cette occasion, et dans le dessein d’alimenter d’eau potable une des îles de la rade, que Meusnier inventa une machine permettant de distiller l’eau de mer, sans frais de combustible et au moyen du vide, qu’on obtenait par le mouvement même de la marée.