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bateau est prêt le lendemain à midi. « Encore une circonstance plus rassurante, c’est que M. de Kersabiec, officier de marine très entendu…, fut chargé de surveiller les ouvriers. » Il ne les quitta pas « et les anima par des distributions extraordinaires. J’étais fort lié avec toute sa famille, ayant passé les quartiers d’hiver à Saint-Pol-de-Léon : le souvenir m’en plaît encore. » Dès le lendemain, tout est réparé : « Après onze heures l’aimable comtesse fut reconduite, sans tête il est vrai, comme il y en a tant d’autres, au-delà de la chaîne du port. » On put se mettre en route avec l’escadre : les hautes fortifications dominant le port, les villages semés le long de la rade, tant de voiles courbées sous un vent « joli-frais, » le ciel clair : « ces différens objets réunis formaient le plus beau tableau possible au moment de notre départ… Tous les vaisseaux en marche donnèrent un coup d’œil vraiment imposant. »

La vie de tous les jours commence sur le petit bâtiment ; on a peine à s’y faire d’abord, tant on est entassé, mais on s’habitue : « Le bourdonnement d’une aussi nombreuse société » est un sensible désagrément ; « ajoutez-y les exhalaisons et autres mauvaises odeurs de passagers, tant des hommes que de quelques chiens, et l’on concevra le peu d’agrément de pareille cohue dans un aussi petit sabot goudronné. » Closen a la chance de n’être pas malade, s’installe dans son coin, et, dès ce moment jusqu’à la fin, s’amuse à observer la vie autour de lui, apprend à faire le point, trace des portraits de ses compagnons et notamment du capitaine, loup de mer de la vieille sorte qui avait une égale confiance dans l’efficacité des cantiques et des jurons : « On dit deux fois par jour la prière sur le pont à chaque bord, cela n’empêche pas qu’il y ait beaucoup d’irréligion parmi les marins ; j’ai même souvent entendu notre capitaine jurer et pester tout le jargon des vaisseaux pendant qu’il priait et chantait :


Je mets ma confiance,
Vierge, en votre secours,
Et quand ma dernière heure
Viendra, guidez mon sort,
Obtenez que je meure
De la plus sainte mort. »


Divers incidens rompent la monotonie du voyage. Le 18 juin, la Surveillante capture un corsaire ennemi, ce qui est une joie,