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Les vieux canons massifs dévorés par la rouille,
Les affûts à gradins disloqués par le temps,
Abdiquent le passé dans l’herbe qui les mouille
Et berce des iris, beaux calices flottans.

Sur une patte, en haut des Koubbas ovoïdes,
Gardiennes des tombeaux tout ruisselans d’émail,
Méditent sans bouger, durant les heures vides,
Les cigognes au bec sculpté dans le corail.

Favorites d’Allah, dédaigneuses des hommes,
Leur lenteur est sacrée et leur repos divin,
Et leurs ailes, toujours en efforts économes,
Ne consentent au vol que pour dompter la faim.

Des enfans, à leur cou portant des amulettes,
Visage de bitume et beaux yeux soudanais,
Tirent d’un court roseau des plaintes aigrelettes,
Les gestes alourdis par leurs voiles épais.

Vendredis musulmans ! Béatitudes calmes !
Un long turban neigeux autour du crâne ras,
Les fidèles pensifs, salués par les palmes,
S’en vont à la Mosquée, un tapis sous le bras.

D’humbles gens : chameliers, âniers, vendeurs d’oranges,
Promènent au soleil la sainte inaction ;
Leurs burnous ravaudés ont des loques pour franges,
Mais leurs yeux sont hantés d’un sublime rayon.

Leur misère orgueilleuse ennoblit la lumière,
La blancheur des murs nus est plus blanche auprès d’eux,
Allah soit louange ! La lâche coutumière
Ne rive plus leurs pieds à son boulet hideux.

La vie est plus légère et le cœur moins aride,
L’eau des ablutions a rafraîchi les corps ;
Sous le ciel lumineux qui n’a pas une ride,
L’Espérance éternelle élève ses accords.