Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/502

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demi-formes confuses, mais je les regarderai et les justifierai. Je rallume en esprit la flamme posée sur l’oculus.

C’est l’heure d’achever la réconciliation des dieux vaincus et des saints. Je sens leur parenté ; elle dérive pour moi de tant de siècles passés aux mêmes lieux, et je crois qu’ils peuvent aujourd’hui s’entr’aider. Un peuple a dans l’âme un sanctuaire qu’il tend sans cesse à restaurer. Je veux sauver les sources pures, les profondes forêts, à la suite des églises. Et pour maintenir la spiritualité de la race, je demande une alliance du sentiment religieux catholique avec l’esprit de la terre.

Je ne méconnais pas dans le Christ une doctrine de vie infiniment supérieure à celle que fournissent les divinités topiques, les dieux lares, les pénates, le genius loci, la dame des fontaines et la fée des hêtres. Je n’entends pas faire une place aux dieux de la fable auprès de Celui qui les a brisés pour réunir tous les hommes dans la même communion, mais je voudrais que les saints locaux, qui si souvent recouvrent des pensées religieuses charmantes d’autrefois, se prêtassent plus que jamais à les laisser fleurir. Ces cultes de jadis, ces croyances indigènes, bien antérieurs à l’occupation romaine qui les a déguisés sans pouvoir les abattre, — d’où viennent-ils et faut-il l’aller demander aux grottes des Eyzies ? — en même temps qu’ils se prolongent jusqu’à nous en vieilles pratiques misérables, demeurent à l’origine de notre plus grande poésie. Ces imaginations, ces rumeurs, si nous en faisions table rase, si elles disparaissaient des sommets, des bois, des vallées et de notre âme, quel appauvrissement ! Quel ennui dans nos promenades ! Au milieu d’un univers tout de clarté sèche, je périrais d’inanition. Ces formes vaincues, privées de leur culte, plus qu’à demi retombées dans le chaos des dieux, laissent toujours flotter sur le monde leur âme de vérité. O mon âme impatiente, comment rassemblerez-vous tout ce troupeau disséminé dans l’obscurité, comment ferez-vous en vous-même l’unité ?

Églises du village, nature française, profondes forêts, sources vives, étang au fond des bois, comme tout cela sonne harmonieusement ensemble ! Puissions-nous pieusement recueillir ces parcelles agissantes, organiser nos rapports avec ces vérités de brouillard, assister au retour des pauvres dieux locaux dans l’arche du divin, à leur purification et à leur salut ;