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se tenait sur la défensive à Yorktown, la flotte française barrait la Chesapeake.

Au reçu des lettres de La Luzerne, Washington et Rochambeau, lui disant à quel point le sort des Etats-Unis dépendait de lui, le marin, comprenant, avait-il écrit à La Luzerne, « avec bien du chagrin la détresse où se trouvait le continent et la nécessité d’un prompt secours, » avait décidé de participer aussitôt, avec tous ses moyens, au suprême effort qui, sans lui, bien évidemment, serait tenté en vain. Parti le 5 août de Cap-Français (aujourd’hui Cap-Haïtien), à Saint-Domingue, il avait joint à sa flotte tout ce qu’il avait pu trouver de navires français aux Antilles, même quelques-uns qui, ayant été des années absens, avaient ordre de rentrer pour se faire réparer. Il avait eu la plus grande difficulté à se procurer l’argent demandé, bien qu’il eût offert d’hypothéquer en garantie son propre château de Tilly pendant que le chevalier de Charitte, commandant la Bourgogne, faisait de même pour le sien ; il avait obtenu enfin les douze cent mille francs requis, grâce à l’obligeance du gouverneur espagnol de La Havane. Il amenait aussi avec lui le marquis de Saint-Simon et les 3 000 hommes de troupes sous ses ordres. Il demandait seulement que les opérations fussent poussées en hâte, puisqu’il était obligé d’être de retour aux Iles à date fixe. Nul personnage ne risqua ni ne fit davantage, à lui seul, pour les Etats-Unis que de Grasse, le seul des chefs à qui aucun monument n’ait été élevé.

La nouvelle se répandit en un instant ; le camp retentissait de chants et de cris de joie. « Les soldats parlèrent de Cornwallis, dit Closeri, comme s’ils le tenaient déjà à la garde du camp ; mais il ne faut cependant pas encore vendre la peau de l’ours ; il est vrai qu’il est bien près d’être pris. » A Philadelphie, la joie était indescriptible ; la foule s’était portée devant la maison du ministre de France, La Luzerne, et l’acclamait. « Des plaisans, rapporte l’abbé Robin, montent sur des tréteaux, prononcent l’oraison funèbre de Cornwallis, et débitent des lamentations sur la douleur des tories. » Vous avez, écrivait Rochambeau à l’amiral, le 7 septembre, « répandu une joie universelle dans toute l’Amérique, dont elle est enivrée. »

L’inquiétude toutefois fut grande à nouveau quand on apprit, peu après, que les bâtimens français avaient quitté la Chesapeake dont l’entrée maintenant était libre. La flotte anglaise comptant