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soin, rapporte l’aumônier, d’en éloigner les spectateurs pour diminuer leur humiliation. » Les vainqueurs avaient pitié de Cornwallis et l’entourèrent d’égards. Rochambeau ayant appris qu’il manquait d’argent lui offrit tout ce qu’il souhaita. Il l’invita à dîner avec ses officiers, le 2 novembre. « Lord Cornwallis, écrit Closen, se distingua particulièrement par son maintien réfléchi, doux et noble. Il parla beaucoup de ses campagnes dans les Carolines, et, quoiqu’il eût remporté plusieurs victoires, il convînt cependant lui-même qu’elles étaient la source des malheurs actuels. Tous, à l’exception de Tarleton, parlaient français, O’Hara surtout, dans la perfection. Il nous parut un peu hâbleur… Quant au fameux Tarleton, toute sa personne n’annonce rien d’extraordinaire, ni pour l’esprit, ni pour l’éducation. A en juger d’après sa conduite dans les Carolines, il est brave et heureux, voilà tout, mais il s’est fait détester généralement par ses déprédations. » Une correspondance amicale s’établit entre Cornwallis et plusieurs officiers français, le vicomte de Noailles entre autres, celui qui avait fait toute la route à pied et qui lui prêt à l’Essai général sur la tactique du comte de Guibert, alors sujet de discussions passionnées en Europe, à cause de quantité d’idées audacieuses avancées, non seulement sur les armées, mais sur la limitation nécessaire du pouvoir des rois, et portant, à la première page, cette dédicace : « A ma Patrie. » Napoléon en devait dire plus tard qu’il « était propre à former des grands hommes ; » mais son auteur lui-même qui, général et académicien, attendait une renommée durable de ses services militaires et de ses livres, est surtout connu de la postérité, — ironie du sort, — par la place qu’il tient dans les lettres de Mlle de Lespinasse.

Cornwallis eut, de son côté, la perception très nette que la masse des Français avaient lutté pour une cause qui leur était chère et consistait en autre chose que de l’humilier lui et les siens. Il rendit publiquement justice à ses vainqueurs, reconnaissant qu’il avait reçu d’eux le meilleur traitement. Relativement aux Français, il s’exprima ainsi dans son, rapport final sur la catastrophe, imprimé par ses soins dès son retour : « La bonté et les attentions qui nous ont été manifestées par les officiers français… la délicatesse avec laquelle ils se sont montrés sensibles à notre situation, l’empressement et la générosité avec lesquels, officiellement ou à titre privé, ils nous offrirent tout