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nouvelle croisade, ils eurent, dès le premier moment, la conviction qu’ils avaient assisté, en effet, à quelque chose de grand et qui compterait dans l’histoire. Ils éprouvèrent presque tous le sentiment qu’exprime aux dernières lignes de son journal le comte Guillaume de Deux-Ponts, blessé à l’assaut : « Avec des troupes aussi bonnes, aussi braves, aussi disciplinées que celles que j’ai eu l’honneur de conduire à l’ennemi, on peut tout entreprendre… Je leur dois les plus beaux jours de ma vie et le souvenir ne s’en effacera certainement jamais de ma mémoire… La vie de l’homme est mêlée de peines, mais on ne peut plus s’en plaindre quand on a joui des momens délicieux qui en sont le prix ; un seul instant les fait oublier, et cet instant bien senti en fait même désirer de nouvelles, pour jouir encore une fois de leur récompense. »


II

Pendant une année encore dont il passa la première partie à Williamsburg, non loin de Yorktown et où son ami La Luzerne vint le voir en mars 1782, Rochambeau resta en Amérique. La paix était une possibilité, non une certitude. A Londres où, le 20 novembre précédent, on continuait de recevoir les nouvelles les plus encourageantes, mais où celle de la catastrophe apportée par le Rattlesnake, arriva le 25, George III et ses ministres résistaient à l’évidence, lord Germain surtout pour qui la déception avait été forte, et qui disait au Parlement : « Il faut continuer la guerre vigoureusement et empêcher que jamais les Français puissent dire aux Américains que ce sont eux qui ont assuré leur indépendance et qu’ils ont droit à des faveurs commerciales, sinon même au monopole des échanges. » Ce n’était guère bien nous connaître, comme en témoignait notre traité de commerce de 1778, qui n’avait réservé à la France aucun avantage particulier, comme on a pu voir par la lettre de Franklin citée plus haut. Le roi George, tout aussi peu disposé à céder, prescrivit qu’un jeûne public serait observé, le 8 février 1782, par tout le pays, comme acte de contrition pour les péchés nationaux et appel à la protection divine en vue de la reprise des hostilités. « Le Roi, écrivait Franklin, le 4 mars, nous hait cordialement et rien ne le satisfera que notre destruction. » Avec ses admiratrices françaises, il échangeait des lettres