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Escales à Porto-Rico, à Curaçao, cette dernière attristée par le désastre de la Bourgogne, à Porto-Cabello (Venezuela) où l’on fait quelque séjour et où Closen recommence avec ardeur à observer les habitans, gens et bêtes, tatous, singes, caïmans, « lézards énormes tout différens des nôtres. » La « compagnie de la Carraque (Caracas) tient le peuple dans un esclavage et dans une gêne incroyable. Les impôts sont énormes. » L’intolérance religieuse est d’un autre temps : « Quoique l’Inquisition n’y soit pas aussi rigoureuse dans ses informations qu’en Europe, n’y ayant qu’un commissaire à Carraque, il y a cependant trop de fanatisme, trop de préjugés absurdes, en un mot trop d’ignorance parmi les habitans qui ne disent pas un mot et ne font pas un pas sans dire un Ave et sans faire vingt signes de croix, ou baiser un chapelet qu’ils ont toujours pendu au col avec une garniture assez considérable de reliques et de croix. Nos MM. voulant me jouer une niche dans les maisons particulières où je m’étais fait introduire pour satisfaire ma curiosité et mon désir d’instruction, dirent à quelques personnes que j’étais protestant. Voilà des signes de croix ! s’écriant sans fin : Malacce christiano, mauvais chrétien ! »

Le 24 mars (1783), émouvante nouvelle : l’Andromaque arrive « avec le grand pavillon blanc au mât de misaine, comme signal de paix. La minute d’après, tous les vaisseaux de guerre furent pavoises. » On eut encore quelques petits incidens comme la capture de plusieurs de nos officiers par « l’Albermale de 28 canons, commandé par le capitaine Nelson, dont ces messieurs disent tout le bien possible, » et qui furent aussitôt remis en liberté, à la nouvelle de la paix, par le futur ennemi de Napoléon.

C’était donc enfin le retour. Il fut retardé par quelques calmes plats et quelques tempêtes, avec les « criiiiicks craaaaks » habituels des mâtures ; occupé par la mise au net des « journaux et notes sur les deux Amériques, » égayé par le sauvetage de la perruche d’une dame espagnole admise à bord avec sa famille. La « petite perruche s’effraye de quelque chose, s’envole et tombe dans la mer. Le nègre de cette dame, se trouvant par bonheur du même côté, s’y jette sans autre réflexion, tel quel, plonge et reparait de suite ; crie : cato ! cato ! la rejoint, la place sur sa tête crépue, regagne le vaisseau. » Ravie, la dame « permet à ce noir sauveur de lui baiser la main, distinction unique