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Il ne se plaisait nulle part aussi bien qu’aux Rochers. Et c’est là que je voudrais le montrer, par une claire matinée d’hiver, un jour où, rentrant de l’armée, il surprend dans une allée du parc la marquise, qu’il avait laissée fort longtemps sans nouvelles. !

Et elle écrit à sa fille :


4 décembre 1675.

Comme je venais de me promener avant-hier, je trouvai au bout du mail le Frater, qui se mit à deux genoux aussitôt qu’il m’aperçut, se sentant si coupable d’avoir été trois semaines sous terre à chanter matines (elle parle de la cour qu’il faisait à certaine belle abbesse) qu’il ne croyait pas pouvoir m’aborder d’une autre façon. J’avais bien résolu de le gronder, et je ne savais jamais où trouver de la colère ; je suis fort aise de le voir. Vous savez comme il est divertissant ; il m’embrassa mille fois ; il me donna les plus méchantes raisons du monde que je pris pour bonnes. Nous causons fort, nous lisons, nous nous promenons, et nous achèverons ainsi l’année, c’est-à-dire le reste.


Et plus d’une fois l’histoire se renouvellera : Sévigné s’absente, s’égare. On ne sait plus où mettre la main dessus. La marquise et son vieil oncle, l’abbé de Coulanges, s’inquiètent, se désolent, se mettent un peu en colère. Mais le petit baron rentre enfin, de Rennes ou de Quimper, « avec une sotte chanson qui fait rire, » ou bien avec quelque projet de mariage, pour amuser sa mère, « mais la belle n’a pas quinze ans. » Et la marquise sourit en soupirant : « C’est une fragile créature ! . « S’il se divertit, il est bien ! »


La gaieté s’allie assez souvent à la tendresse, et, si les saints sont souvent gais, les gais sont ordinairement sensibles. Mme de Sévigné allait l’éprouver deux ans plus tard, en 1677, lorsqu’elle fut prise aux Rochers d’un rhumatisme qui la faisait souffrir à crier. Son fils se montra d’un dévouement admirable. Il soigne sa mère, il lui sert de secrétaire, il lui fait la lecture, il calme les inquiétudes de sa sœur absente : « Adieu, ma petite sœur, n’ayez ni peine ni frayeur de ce qui se passe ici ; avant que cette lettre soit à vous, ma mère se promènera un peu dans le jardin. » Il est attentif, enjoué ; et, compatissant pour le présent, il voit l’avenir en couleur de rose ; tout lui parait arriver pour le mieux dans le meilleur des mondes :

« Nous sentons quasi plus vivement le plaisir de voir ma