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Nous voyons le reflet de tout cela dans certaines lettres adressées à Mme de Grignan, alors absente en Provence, par sa cousine Mme de Coulanges. Elle n’avait aucun préjugé contre le quartier Saint-Jacques ; au contraire, elle nous a déjà dit, en 1700, que « ce quartier fournit une très bonne compagnie ; on n’a qu’à l’habiter pour être une personne au-dessus des autres. » Mais je pense que cette ancienne coquette, cette jolie femme de jadis, devenue dévote sur le retour, ne voyait pas sans quelque jalousie sa jeune cousine prendre les devans et s’élancer vers la vie parfaite ; elle la trouvait laide, toujours malade ; elle ne concevait pourtant pas qu’elle pourrait désirer quitter le monde. C’est en 1703 ; Mme de Sévigné, l’illustre, est morte déjà depuis six ans ; sa belle-fille n’a plus ce conseil sûr, cette infaillible ressource. Souffrante, sans enfans, dans cette nouvelle solitude de Paris, aux tristes abords de la quarantième année, la femme, encore jeune, s’apercevant qu’on vieillit, s’est tournée tout à fait du côté de Port-Royal. Un prêtre de l’Oratoire, du nom de Gaffarel, qui demeurait au séminaire de Saint-Magloire, parachevait sa conversion.


Il y a trois mois que je n’ai vu Madame votre belle-sœur (écrit Mme de Coulanges à Mme de Grignan, le 10 mai 1703). Elle n’a plus aucun commerce avec les profanes ; j’ai été des dernières avec qui elle a rompu ; mais elle ne veut plus de moi, il ne faut pas s’en faire accroire. La maison qu’elle va habiter est laide ; mais son jardin, qui est triste par la hauteur des murailles, ne laisse pas d’être grand. Vraiment, Madame, une maison de campagne n’est pas une retraite digne d’une dévote ; on ne trouve point le Père Gaffarel à la campagne, et il est vis-à-vis de la porte où habitera M. de Sévigné : je suis en peine de ce dernier. Sans sa docilité, ce serait un homme perdu ; mais aussi, sans sa docilité, n’irait-il point habiter le faubourg Saint-Jacques !…


Mme de Coulanges le plaint ; il lui semble que ses cousins vont changer de vie et d’amis ; et elle s’attendrit un moment, en leur disant adieu : « C’est une vraie sainte que madame votre belle-sœur. » Donc, on l’admire, — mais on plaint le mari ! Sévigné pourtant ne s’est pas tout de suite séparé de sa chère Bretagne. Il a fini par y emporter les seuls succès qu’il ait enviés : ceux qui ne le séparent point de sa chère province. Lieutenant du Roi à Nantes, il a connu l’envers du pouvoir : les tracasseries sans fin, les brouilles, la difficulté de manier les hommes ; et ; un jour, à propos de quelque méchante histoire de