Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/612

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Charles-Emmanuel IV : « Si nous avions voulu nous allier avec les Français, V. M. serait en ce moment roi d’Italie, mais une alliance avec les hommes qui commandaient alors aurait été trop immorale et trop dangereuse… Cependant, d’autres Etats ont été moins difficiles ; cela tient à ce qu’ils étaient mal dirigés et mal conseillés. Que peuvent faire de grand les Rois avec des hommes petits ? » remarquait-il encore. Des femmes auraient peut-être mieux réussi que certains diplomates et le ministre du roi de Sardaigne n’était pas loin d’en convenir. On a attribué à Alexandre Dumas le mot célèbre : « Cherchez la femme ! » C’est Joseph de Maistre qui l’a dit le premier : « Un vieux bonhomme de ministre, écrit-il le 3 novembre 1803, disait un jour à un de mes amis : « Souvenez-vous bien que dans toutes les affaires il y a une femme. Quelquefois on ne la voit pas, mais regardez bien, elle y est. » Et il ajoute : « Je crois qu’il avait raison. Pour moi, je la rencontre volontiers sur ma route, soit par une inclination naturelle pour un bel animal, soit que, dans certaines circonstances, elle soit réellement utile pour adoucir les aspérités de l’autre sexe et faciliter les affaires, comme une espèce d’huile qui mouille les ressorts d’une machine politique pour les empêcher de s’échauffer et de crier. » Il lui eût fallu plus d’une fois une assistance aussi utile ; malheureusement, elle lui a manqué. En attendant, il cherchait un secrétaire doué de toutes les qualités mondaines. « Il le faut, disait-il, jeune, danseur, dessinateur, musicien ; car la société russe est la plus futile et la plus immorale de l’univers. » Il demandait un homme du monde complet, « dont il se servirait auprès des femmes pour savoir les secrets des maris. » On ne se figure pas un Joseph de Maistre aussi peu scrupuleux, et cependant cela est ainsi. Il ne dédaignait pas lui-même de faire galante figure au milieu des salons et risquait des mots légers. Il tournait à l’occasion fort gentiment un madrigal. C’est ainsi qu’un jour il écrivit au bas d’un portrait de lui, demandé par la princesse Narichskine :


Lorsque étant vieux et sot, il valait moins que rien,
On lui demanda sa figure.
Et qui ?… Dame importante, et qui s’y connaît bien.
D’honneur, c’est presque une aventure !


Il passait rapidement du léger au grave et revenait à son