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Joseph de Maistre, une des grandes époques du monde ! » Sans doute l’Empereur ne cherche pas à détruire officiellement la religion catholique. « Au contraire, sa prétention est de la maintenir dans toutes ses formes extérieures et de se dire lui-même catholique, mais il veut soumettre le Saint-Siège à sa puissance et lui dicter des lois. Il y brisera toute sa puissance. »

Puis, à propos du divorce de Napoléon, il constate une faute aussi grande. « Le voilà qui vient encore de donner un nouveau spectacle à l’Europe avec son divorce, après avoir fait écrire dans ses statuts que le divorce ne pourrait jamais être proposé dans la famille impériale. Les rédacteurs de cette étrange procédure en ont fait tout ce qu’il était possible. On ne peut s’empêcher d’admirer l’art infini avec lequel ils ont su donner à ce brigandage le ton de la nécessité et de la dignité. À cette exclamation du grand homme : Dieu sait ce qu’il en a coûté à mon cœur ! je ne puis exprimer ce que le mien a ressenti. Je n’ai jamais rien lu d’égal. La précaution de faire parler son beau-fils dans le sens du divorce et de lui faire prêter le même jour le serment de Sénateur, est encore une recherche bien digne de ce terrible génie. » Le comte de Maistre, examinant la procédure de ce singulier divorce, remarque que l’archichancelier Cambacérès s’est chargé de poursuivre l’exécution de cette affaire par-devant qui de droit, c’est-à-dire devant l’Eglise, « ce qui prouve que Bonaparte veut une dissolution ecclésiastique et qu’il s’est assuré de quelques misérables dans l’ordre civil, ce qui produirait de nouvelles tempêtes. » Il remarque encore que « le résultat du scrutin a donné pour le divorce le nombre de voix prescrit par la loi constitutionnelle. Mais le nombre des opposans demeure un mystère[1]. »

Malgré ses prédictions et malgré ses désirs, Joseph de Maistre voit la monarchie, pour ainsi dire, dans un état de mort. Afin de se consoler, il écrit qu’elle lui paraît dans cet état encore plus belle, « comme le corps humain est bien plus admirable, étendu et dépecé sur la table anatomique que dans les plus

  1. Sur 87 votans au Sénat, 76 se prononcèrent pour le projet du sénatus-consulte qui dissolvait le mariage de Napoléon et de Joséphine, contre 7 opposans et 4 qui s’étaient abstenus. Il n’y eut pas de discussion. « Omnia animalia dicentia Amen » remarque Tabaraud. — Cf. Le Divorce de Napoléon, par Henri Welschinger, Plon, 1885.