Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/633

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de France, Napoléon est forcé d’abdiquer. « Le procès du genre humain contre un monstre, écrit alors le ministre sarde, a été jugé définitivement à Paris… L’Autriche a obtenu des choses si prodigieuses et si contraires au bien général qu’il faut absolument croire ou que les nouvelles sont fausses, ou qu’elles n’annoncent qu’une comédie. » Il ne peut comprendre qu’on ait donné Parme et Plaisance à Marie-Louise. « Mais rien n’égale les deux millions de rente accordés à Bonaparte. Ajoutons-y ceux qu’il a pris et mis à couvert. Il est bien plus riche que la plupart des maisons royales d’Europe. Avec ses richesses, il peut acheter et remuer tous les scélérats de l’univers. Pourquoi d’ailleurs l’île d’Elbe au lieu de celle de Botany-Bay, qui est sensiblement plus grande et plus commode ? » La colère l’emporte chez le comte de Maistre, qui ne comprend pas qu’on puisse laisser Napoléon avec tant d’argent dans une île au centre de l’Europe… On sait d’autre part que le gouvernement de la Restauration ne s’empressa guère de servir la rente promise par traité et que ce fut là une des raisons qui déterminèrent l’Empereur à s’évader de l’île d’Elbe.

Quant au roi de Sardaigne, à qui l’on va rendre le Piémont, le comte de Maistre le supplie de prendre garde à ses ministres nouveaux. Il ne demande rien pour lui-même. Au contraire, il aspire à se retirer sans bruit des affaires diplomatiques. Il ne comprend pas que le traité du 30 mai 1814 n’ait pas encore assuré le sort de la pauvre Savoie. « Il y a, remarque-t-il, du Talleyrand dans tout ce qui se fait. Un tel homme à côté du roi de France est un étrange spectacle, mais il paraît qu’il a rendu de grands services à la bonne cause ; le Roi se sera donc servi du gentilhomme et du ministre en laissant l’évêque au jugement de Dieu. » Le 18 juillet, il écrit mélancoliquement : « On se tromperait infiniment si l’on croyait que Louis XVIII est remonté sur le trône de ses ancêtres. Il est seulement remonté sur le trône de Buonaparte et c’est déjà un grand bonheur pour l’humanité ; mais nous sommes bien loin du repos. La Révolution fut d’abord démocratique, puis oligarchique, puis tyrannique ; aujourd’hui elle est royale, mais toujours elle va son train. L’art du prince est de régner sur elle et de l’étouffer doucement en l’embrassant ; la contredire de front ou l’insulter serait s’exposer à la ranimer et à se perdre du même coup. » Il trouve que Louis XVIII se tire assez bien d’affaire. Il