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Les ouvriers participèrent au banquet de Belleville, où l’horloger Simard prit la parole. La grande grève de 1840, qui, à Paris seulement, mit debout 30 000 hommes, resserra leur fédération. Une réunion révolutionnaire, tenue à Lyon en juin 1842, vit assemblés, comme délégué de Marseille, le syndic des portefaix, un ouvrier gantier comme délégué de Grenoble, et l’ancien directeur-gérant du Peuple souverain, Imbert, à cette heure commis voyageur en vins, comme représentant de Lille et Valenciennes : il s’y dessine, en première ébauche, à travers tout le territoire, le plan d’une campagne concertée de la classe ouvrière. Cette classe est prête ou s’apprête à fournir la force : il lui restait à se connaître, mais elle commence à se chercher ; elle part à la découverte de la terre qui lui est promise.

Si les communistes eux-mêmes ne s’entendent pas très bien d’école à école, il est certain néanmoins qu’à cette date, vers 1840, le communisme en général gagne la faveur du peuple : il lui plaît par ce qu’il a de simple, d’imprévu et d’indéfini, presque d’infini ; c’est l’humanité au plein air, en plein champ, sur la grande route. Henri Heine a gravé de sa pointe aiguë, en dix passages de sa Lutèce, l’empreinte au vif, la prise puissante du communisme sur l’ouvrier des faubourgs parisiens. Il se fait honneur d’avoir, par ses lettres à la Gazette d’Augsbourg, révélé le communisme aux communistes eux-mêmes, en ce sens que, « répandus isolément dans tous les pays et privés d’une conscience précise de leurs communes tendances, » ils apprirent de lui « qu’ils existaient réellement » et surent ainsi « leur nom véritable, » auparavant « tout à fait inconnu à plus d’un de ces enfans perdus de la vieille société. » Un tel aveu, il l’avait fait « d’un ton d’appréhension et d’angoisse extrêmes. » — « Ce n’est qu’avec horreur et effroi que je pense à l’époque où ces sombres iconoclastes parviendront à la domination : de leurs mains calleuses ils briseront toutes les statues de marbre de la beauté si chères à mon cœur (Préface de l’édition française, 1855). » — « Ces êtres ténébreux, ces monstres sans nom, auxquels appartient l’avenir, n’étaient alors regardés généralement qu’à travers le gros bout de la lorgnette ; et, envisagés ainsi, ils avaient réellement l’air de pucerons en démence. Mais je les ai montrés dans leur grandeur naturelle, sous leur vrai jour, et, vus de la sorte, ils ressemblaient plutôt aux crocodiles les plus formidables, aux dragons les plus gigantesques qui soient jamais