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d’un calotin ? » à présent devenu « le citoyen Lamennais » et tutoyé par les prisonniers dans ses visites à Sainte-Pélagie : « Comment te portes-tu, citoyen Lamennais ? » — mais étonné quand même de se voir la et d’être traité avec cette familiarité jacobine ; — celui que les déclamations républicaines de 1834 avaient d’abord déconcerté, à qui « cette promesse étrange, que la République, aussitôt qu’elle serait victorieuse, livrerait au jugement du Peuple, réuni en comices, les propriétés mal acquises et les propriétés exubérantes » donnait « bien chaud à la tête, » ainsi qu’il l’avouait alors à Pierre Leroux ; à présent emporté, du fond de son âme apostolique, par un ardent amour du peuple, que le peuple, à mesure qu’il apprenait à le connaître, lui rendait en son cœur facilement ému (tels ces typographes qui pleuraient sur les Paroles d’un croyant), Lamennais, le citoyen Lamennais, prêchait au Peuple, rêvait « de se dévouer, de souffrir, de mourir pour lui ; » en l’entendant, on pensait à Savonarole : « Oh ! mon ami, nous monterons sur l’échafaud, mais ce sera un beau jour ! » Et que lui enseignait-il, au Peuple, dans ses phrases martelées et burinées comme des strophes ? « Toutes choses ne sont pas en ce monde comme elles devraient être. Il y a trop de maux et des maux trop grands. Ce n’est pas là ce que Dieu a voulu !… »


Tu dis : J’ai froid ; et, pour réchauffer tes membres amaigris, on les étreint de triples liens de fer.

Tu dis : J’ai faim, et on te répond : Mange les miettes balayées de nos salles de festin.

Tu dis : J’ai soif ; et l’on te répond : Bois tes larmes.

Tu succombes sous le labeur, et tes maîtres s’en réjouissent ; ils appellent tes fatigues et ton épuisement le frère nécessaire du travail.

Tu te plains de ne pouvoir cultiver ton esprit, développer ton intelligence ; et tes dominateurs disent : C’est bien ! il faut que le peuple soit abruti pour être gouvernable.

Dieu adressa, dans l’origine, ce commandement à tous les hommes : Croissez et multipliez, et remplissez la terre, et subjuguez-la ; et l’on te dit à toi : Renonce à la famille, aux chastes douceurs du mariage, aux pures joies de la paternité ; abstiens-toi, vis seul, que pourrais-tu multiplier que tes misères ?


De tous les prophètes, Jérémie a toujours été le plus écouté. « Des ouvriers, après la lecture du dernier ouvrage de Lamennais, demandaient un fusil et voulaient marcher à l’instant. » Qui le constate et le raconte, et peut-être envie le même