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chronologies se confondent. L’attente d’un deuxième amour ensevelit l’amour précédent ; et, ainsi, l’oubli continue dans l’espoir. Les peintres les plus attentifs à noter fortement l’aspect des heures incertaines peignent des matins qui ont l’air de soirs ; et ils peignent des soirs si roses qu’on les prendrait pour des matins. Dans la nature, également, l’on hésiterait, sans le conseil de la nuit reposante ou de la fatigante journée, à distinguer les deux crépuscules.

Enfin, voici le poème de la journée, entre les deux crépuscules, le poème de l’amour. C’est le plus récent recueil de M. André Rivoire. Il s’appelle le Plaisir des jours. Plaisir menacé, comme nous l’enseigne le Chemin de l’oubli. Mais, sous la menace même, l’amour est content. Ne voit-il pas la menace ? Il refuse de l’apercevoir. En outre, le temps est passé des crédulités les plus dangereuses. Le cœur, qui a été dupe, ne l’est pas éternellement. Se croit-il, à présent, si sûr de son expérience ? On dira que le cœur n’a pas d’expérience et, pour chaque nouvel amour, offre sa candeur facile à décevoir. On le dira ; d’autres le diront : le cœur épris le niera. Si, malins, nous connaissons la menace, la sécurité de l’amour en est plus émouvante.

La jolie chose, que d’avoir déplacé, dans la série logique des épisodes, le principal épisode, l’amour triomphant !

Triomphant, c’est trop dire. Il ne triomphe pas : le vacarme avertirait le destin. Plus discret que jamais, plus économe de sa joie ou du bruit que sa joie ferait, le poète élève la voix le moins qu’il peut : on l’entend parce que sa joie est forte ; mais il ne chante pas à tue-tête.

Ce n’est ni l’unique amour ni l’amour premier : c’est le meilleur amour, si bon que toute la précédente erreur, n’est-ce pas ? le préparait. Et le plaisir des jours, si le poète n’avait pas soin de ne pas tenter le mauvais sort, il faudrait l’appeler le bonheur. Le poète n’a point osé : il y a, dans l’idée du bonheur, une condition de durée, avec laquelle on n’a pas la folie de s’engager. Le plaisir des jours est un bonheur sans arrogance, auquel suffit l’heure après l’heure.


Mon bonheur, comme chaque jour,
Je retrouve d’un cœur paisible
Ta douce présence invisible,
Mon cher bonheur, mon cher amour !


Chaque jour ! Et, à chaque fois, c’est comme une surprise. Voilà, en peu de mots, la sagesse de ce bonheur qui a la précaution de ne souhaiter que plaisir. Cependant, et à toute minute, la fiction va se