Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/704

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Wagner, c’est l’opéra de la rédemption. Il y a toujours chez lui quelqu’un qui veut être sauvé : tantôt un homme, tantôt une femme. C’est là son problème. » Nietzsche en riait alors, mais il en avait autrefois pleuré, pleuré d’admiration et de tendresse. Ses larmes, et non pas son rire, avaient raison.

La pitié, cet aboutissement et cette conclusion de la pensée wagnérienne dans Parsifal, il est facile, dans la plupart des œuvres antérieures, y compris les plus anciennes, d’en noter les prémisses, d’en suivre le progrès. Un jour, à l’Académie, Ferdinand Brunetière parlait de certaines créatures, pour lesquelles donner et se donner soi-même n’est pas une vertu, mais un besoin. Senta, la rédemptrice du « Hollandais volant, » est déjà de celles-là. Le grand élément et comme le ressort moral du personnage et du drame, c’est la compassion, et si large, que, dès le début, elle s’exerce pour ainsi dire au-delà de la réalité dans l’ordre de l’imagination, au profit d’un personnage légendaire, mystérieux, « qui ne viendra sans doute jamais, qui, logiquement, naturellement, ne peut venir[1]. »

Pitoyable et dévouée, comme Senta, jusqu’à la mort, Elisabeth, de Tannhäuser, est plus humaine et pour ainsi dire plus vraie, parce que rien de fabuleux ou de fantastique ne se mêle à son amour. Sa destinée, ou plutôt sa vocation, peut se résumer en quelques mots : celui qu’elle aimait a péché contre le ciel et contre elle-même ; elle s’offre elle-même en sacrifice pour lui rouvrir le ciel.

Qu’est-ce que Lohengrin encore, sinon le poème de la pitié ? Pitié du héros pour Eisa ; pitié d’Eisa pour Ortrude elle-même, à chaque page, à chaque mesure et surtout à la fin de leur dialogue du second acte, alors que la plus tendre cantilène tombe et retombe, — en vain, — des lèvres de la consolatrice sur l’âme ennemie et farouche, qui ne veut point être consolée.

Les plus beaux mouvemens peut-être de la Walkyrie sont des mouvemens de compassion. Revoyez, réentendez par le souvenir Sieglinde apportant à boire à Siegmund tombé de fatigue devant son foyer près de s’éteindre. Rappelez-vous son émoi, son empressement, ses charitables soins, et l’adorable effusion de la mélodie, aussi fraîche, aussi bienfaisante que celle de l’eau même. Et Brünnhilde ? Son héroïsme est-il fait d’autre chose que de pitié, avant de l’être d’amour ! Quelle miséricorde, quelle surhumaine et vraiment immortelle « sympathie, » au sens profond du mot, attendrit le dialogue du second acte avec

  1. Alfred Ernst, L’Art de Richard Wagner.