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progression ascendante d’accords ! — de sixtes, s’il faut les appeler par leur nom ; — belle quand elle se développe, et non moins belle quand elle conclut. C’est d’abord un mouvement, une élévation, comme la prière ; à la fin, c’est une assurance, un repos comme la foi. Tel autre thème, solennel, exposé dès le prélude par les instrumens de cuivre, se divise maintenant entre les voix, et celles-ci, croisant, entre-croisant les fils de la souple mélodie, en tissent la trame légère d’un contrepoint alla Palestrina. Du sein même de la polyphonie, et pour y faire équilibre, l’unisson jaillit par momens, tour à tour énergique et tendre : c’est l’hymne des chevaliers en marche ; surtout c’est l’oraison, qui n’est qu’un murmure, un soupir d’adoration et d’extase, des chevaliers communiant à genoux. Voilà ce qu’on peut appeler une mélodie, une mélodie pure, à peine accompagnée, « à découvert, » diraient les pédans. Je ne sais trop s’il en existe, ailleurs, une plus longue, plus lente également et dont la courbe enveloppe un plus vaste espace sonore. Mais aussi quelle ampleur a l’idée, le sentiment qu’il faut ici qu’elle embrasse ! « Prenez et mangez, ceci est mon corps. Prenez et buvez, ceci est mon sang. Faites ainsi en mémoire de moi. » Fut-il jamais, pour un musicien, pour la musique même, paroles aussi redoutables ! On sait à quelle hauteur elles ont porté, bien loin de l’écraser, la musique de Wagner. Cette mélodie, encore une fois, est d’une extraordinaire envergure ; elle déploie des ailes immenses. Après chacun des deux versets, les voix se taisent, et, sous des accords flottans, la symphonie répond, un peu assourdie et comme voilée par les demi-ténèbres qui l’environnent. La musique religieuse n’avait pas encore connu d’aussi longues extases. Le calice lumineux seul éclaire le théâtre et, du haut de la coupole, tout entière harmonieuse, sur ces hommes qui prient, sur cet homme qui souffre, descendent sans trêve de ravissans concerts. Le voilà, le sang de la nouvelle alliance, le mystérieux ferment d’une foi plus vive et d’un plus ardent amour. Les maîtres anciens, y compris les plus grands, en ont ressenti moins vivement l’ivresse. Et c’est pourquoi désormais, quand notre mémoire, et notre piété même, veut associer des chants au mystère et aux paroles eucharistiques, elle ne les cherche plus dans la Passion selon saint Mathieu de Jean-Sébastien Bach, mais dans le Parsifal de Richard Wagner.

Le tableau final a le tort de reproduire, à peu de chose près, celui-là. Il en constitue ainsi comme une réplique atténuée. « A peu de chose près, » mais à quelque chose tout de même, et ce quelque chose n’est rien moins que l’accomplissement de la promesse et la