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la volonté des dieux et des rois, à la gouailleuse insolence d’un Desgenais ou à la philosophie irritée d’un Olivier de Jalin ! Labouchere a joué ce personnage dans la comédie parlementaire de l’Angleterre contemporaine. Il l’a joué en maitre, cassant les vitres d’un geste toujours élégant et souverainement aisé, avec une bonne humeur et une grâce qui obligeaient parfois ses victimes à s’égayer en sa compagnie et, pour tout dire, avec cet esprit facile et prime-sautier qui le faisait accuser d’être Français. Mais, si Labouchere a fait beaucoup rire de son vivant, mort il pourrait faire réfléchir ceux qui l’étudieront. Car l’existence de ce politicien, qui mourut désabusé de la politique, laisse dans l’esprit un curieux enseignement. Elle explique un phénomène auquel nous assistons présentement, non sans tristesse : la déconsidération croissante de ce parlementarisme que nos pères regardaient comme une panacée et qui n’est plus qu’un article d’exportation pour les pays d’Extrême-Orient.


I

Avant l’histoire, la légende. L’une est très instructive, l’autre est fort amusante, et les lecteurs de la Revue ne me sauront pas mauvais gré de lui avoir accordé quelques pages. Jusqu’à quarante ans, la vie de Labouchere n’est qu’une série de folles excentricités, de paradoxes en action, sauf dans les cas exceptionnels où agir d’après le sens commun lui paraissait le moyen le plus simple pour se mettre en contradiction avec le reste de l’humanité. Il a travaillé à sa légende, avec tous ses confrères de la presse : si bien que nous possédons jusqu’à trois versions, également drôles et également fausses, de la même anecdote. Singulier début pour un homme qui devait être, dans le journalisme et le parlement, l’apôtre convaincu de la sincérité !

Dans le livre tout récemment paru qui va me servir de guidé, et où M. Algar Thorold Labouchere nous a donné, d’une écriture très agréable et très libre, la biographie de son oncle, il commence par nous déclarer qu’il était Français. Pourquoi ? Est-ce parce qu’il portait le nom d’une propriété, possédée, vers la fin du XVIe siècle, par ses lointains ancêtres béarnais, manufacturiers protestans d’Orthez ? Ou ne serait-ce pas, plutôt, parce que, dans ses écrits comme dans ses paroles, il laissait paraître